Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 254

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VICES CACHÉS ET DÉFAUTS DE DÉLIVRANCE CONFORME

À ce stade de la démonstration, la condamnation de la distinction peut toutefois ne pas paraître définitive. Après tout, si l'on accepte de placer le contrôle de
la non-conformité sur le terrain des qualités de la chose, ne peut-on, pour rétablir
une barrière, séparer ces qualités en deux groupes ? N'existe-t-il pas des qualités
dont l'absence transforme la chose délivrée en autre chose que celle convenue ?
N'existe-t-il pas des qualités dont l'absence, au contraire, ne caractérise quant à
elle qu'un vice, une défectuosité ? L'entreprise nous paraît vouée à l'échec. Envisageons néanmoins ses deux variantes.
Il est tentant, en premier lieu, d'établir une césure entre la délivrance d'une
chose ne présentant pas les qualités habituellement attendues compte tenu de la
nature du bien convenu et celle d'une chose ne présentant pas les qualités spécifiquement recherchées par l'acheteur. Il y aurait vice caché dans le premier cas et
défaut de délivrance conforme dans le second cas. On aura reconnu là le critère
qui a cours en France et qui a été progressivement adopté par les chambres de la
Cour de cassation à partir de 199318.
Il est aussi tentant, en second lieu, de distinguer la délivrance d'une chose en
bon état mais ne répondant pas à toutes les spécifications convenues de celle
d'une chose présentant une défectuosité matérielle, une dépravation physique
ou plus largement une anormalité. Il y aurait non-conformité dans le premier
cas, vice caché dans le second cas19. Cette variante revient à opposer les qualités
que la chose vendue ne pouvait en aucun cas avoir aux qualités qu'elle aurait dû
avoir et qui ne lui font défaut qu'en raison d'un état pathologique, d'une anormalité, d'un défaut de fabrication ou de conception. En rompant avec l'histoire, il s'agit en somme de définir le vice comme le ferait l'homme de la rue :
« le vice est une malfaçon, une avarie, une dégradation, une anomalie, une
altération ou une défectuosité... »20.
18. V. not., Civ. 1re, 10 mars 1993, Bull. Civ., I, n° 110, RTD Civ. 1993, 418, obs. J. Normand, JCP 1993 éd. G, I, n° 3727, n° 27, obs. G. Viney, D. 1993, SC 240, obs. O. Tournafond ; Civ. 1re, 5 mai 1993, Bull. civ. I, n° 158, D. 1993, J. 506, note A. Bénabent, et SC
242, obs. O. Tournafond, CCC 1993, comm. n° 174, obs. L. Leveneur, JCP 1994, II, n° 526,
note L. Leveneur, Gaz. Pal., 1994, 1er sem, jur. 77, note. B. Boubli ; Civ. 1re, 5 mai 1993, Bull.
Civ., I, n°  159, D.  1994, SC 239, obs. O.  Tournafond, Def. 1994, I, art.  n°  35746,
note Ph. Delebecque, JCP 1994, éd. E, I, n° 313, note J.-M. Mousseron ; Civ. 1re, 16 juin
1993, Bull. Civ., I, n° 224 ; Civ. 1re, 13 oct. 1993, Bull. Civ., I, n° 287, D. 1994, SC 237, obs.
O. Tournafond ; Com., 26 avr. 1994, Bull. Civ., IV, n° 159, CCC 1994, comm. n° 134, obs.
L. Leveneur et le rapport de J. Apollis : obligation de délivrance et garantie des vices cachés,
RJDA juin 1994, 489 et s.
19. V. par ex. O. Tournafond, Les prétendus concours d'actions et le contrat de vente (erreur
sur la substance, défaut de conformité, vice caché), D.1989, chron., n° 40, p. 241 : « le vice présente un aspect pathologique... la non-conformité n'est qu'une différence ».
20. M. Mignot, J-Cl Civil Code, art. 1603 à 1623, « Obligation de délivrance », n° 16. Il
semble que Huc ait été le premier à retenir cette conception restrictive du vice. Elle serait
devenue majoritaire dans les années 50. V. not. Com. 29 nov. 1955, Bull. Civ., III, n° 343.
H. Boucard en fait le point à partir duquel le conception du vice comme une dépravation
physique devient dominante (op. cit., n° 232). Sur le lien entre cette conception du vice caché
et le développement corrélatif de l'obligation de délivrance conforme, v. P. Coëffard, op. cit.,
n° 217. Comp. égal. F. Collart-Dutilleul et Ph. Delebecque, Contrats civils et commerciaux,
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