Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 255

OLIVIER DESHAYES

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Ces deux voies se recoupent largement21. Mais l'essentiel n'est pas là. Il est de
montrer que la distinction, même ainsi affinée, ne peut pas être reçue.
On observera tout d'abord qu'il est impossible de distinguer, dans une vente,
les utilités que comportent habituellement les choses de celles qui correspondent
à des attentes propres à l'acheteur22. Lorsqu'un acheteur achète un enduit à appliquer sur un mur et précise que cet enduit doit être adapté à une pose en extérieur,
achète-t-il un enduit (tout court) en spécifiant une attente particulière (la pose en
extérieur), ou bien achète-t-il un enduit pour l'extérieur (avec une attente habituelle que l'enduit serve à l'extérieur) ? C'est insoluble. Lorsqu'un acheteur achète
un véhicule adapté au transport de personnes handicapées, achète-t-il un véhicule
(tout court) avec une attente particulière (le transport de personnes handicapées)
ou bien achète-t-il un véhicule adapté au transport de personnes handicapées
(avec une attente habituelle que le véhicule serve au transport de personnes handicapées) ? C'est tout aussi insoluble. Dans ces deux cas, par deux arrêts du même
jour, la Cour de cassation a considéré qu'il y a défaut de délivrance conforme si le
9e éd., Dalloz, 2011, n° 268 : « En dépit des apparences, poser l'existence d'un vice comme
condition de la garantie ne va pas de soi. On peut en effet concevoir que le seul fait que la
chose vendue ne satisfasse pas à son usage déclenche la garantie. Dans cette conception, peu
importe que l'on ne puisse pas montrer du doigt avec certitude et précision le défaut qui en est
la cause. (...) Le vice se définit ainsi moins par sa nature propre que par ses conséquences ».
Mais les auteurs poursuivent en indiquant qu'il faut nuancer cette position.
21. Le faire comprendre ne nécessite qu'un court détour. Une chose est telle chose, en ce
sens qu'elle mérite un nom qui lui est propre, lorsqu'elle présente certaines qualités qui lui
confèrent une originalité, certaines utilités distinctives. Une voiture permet de se déplacer ; un
téléphone de communiquer à distance. Le mot par lequel cette chose est désignée renvoie
nécessairement, chez ceux qui l'utilisent, à cette (ou ces) utilité (s). Aussi, si la chose convenue,
qu'on supposera bien nommée, ne présente pas cette utilité distinctive, cette utilité qualifiante,
c'est qu'elle est atteinte d'une défectuosité, d'une anormalité. Une voiture qui ne peut pas
rouler présente nécessairement une défectuosité : un vice de construction ou vice de conception. Un téléphone qui ne permettrait pas de communiquer à distance présente lui aussi nécessairement une défectuosité. La conclusion est la même pour un terrain qui ne serait pas
constructible : la qualité manquante n'est certes pas alors la conséquence d'une dépravation
physique de la chose, mais l'absence de cette qualité n'en caractérise pas moins une anormalité
objective si l'on tient la constructibilité pour une qualité attendue d'un terrain. Voilà pourquoi
les deux voies envisagées au texte se recoupent : une chose ne présentant pas les qualités normalement attendues est nécessairement atteinte d'un défaut physique ou de conception ou
plus largement d'une anormalité. Aussi, en retenant qu'est atteinte d'un vice caché la chose qui
ne présente pas les qualités habituellement attendues, la Cour de cassation adhère-t-elle implicitement mais nécessairement à la conception qui ne voit dans le vice caché qu'une anormalité,
qu'un état pathologique. C'est d'ailleurs ce que conforme la lecture du rapport annuel de la
Cour de cassation pour 1994 (p. 343). On observera qu'il est sans conséquence pour la
démonstration de relever qu'une dépravation physique ou une anormalité peut aussi entraîner
l'impropriété de la chose à un usage spécial, bref qu'elle peut causer ou caractériser l'absence
d'une qualité spécifiquement attendue. Cela n'ôte rien au rapprochement ici opéré : chaque
fois qu'est absente une qualité normalement attendue, il y a une anormalité de la chose.
22. On rappellera que la qualification de vente suppose que le bien à fournir n'ait pas été
conçu pour les besoins spécifiques de l'acheteur mais soit au contraire une chose que le fournisseur propose habituellement. Sur ce point, v. not. Cass. 3e civ., 5 févr. 1985 : Bull. civ. 1985,
III, n° 23 ; D. 1986, p. 499, note J Huet ; RTD. civ. 1985, p. 737, obs. Ph. Rémy.

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