Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 285

CAROLINE HOUIN-BRESSAND

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Ces analyses peinent cependant à convaincre, car comment justifier que des
conditions de validité identiques puissent conduire à des régimes juridiques différents ? Et à quel titre le caractère gratuit ou onéreux d'un acte peut-il expliquer
que la clause d'inaliénabilité qui y est insérée s'accompagne d'une insaisissabilité
du bien dans le premier cas et pas dans le second10 ?
5. Plus pertinente est la référence faite par certains auteurs à la différence de
source des clauses qui, dans un cas, sont prévues dans des actes d'aliénation et pas
dans l'autre.
Stipulée dans un acte translatif, l'interdiction d'aliéner a pour conséquence
que le donataire ou l'acquéreur reçoit la propriété d'un bien amputée d'une partie
des prérogatives qui y sont normalement attachées. De ce constat, a pu être dégagée l'idée selon laquelle la clause frappe directement le bien transmis, pour le
placer hors du circuit économique et qu'elle s'impose, pour cette raison, à tous.
Dans les contrats de prêt, l'emprunteur n'est pas privé ab initio de son droit de
disposer du bien. La clause qui lui interdit d'aliéner ce bien suppose une renonciation de sa part à l'exercice de cette prérogative dans l'intérêt du prêteur. La
clause donne naissance à un engagement personnel de ne pas faire.
Cette différence permet de justifier que les premières rendent le bien insaisissable par les créanciers du donataire ou de l'acquéreur qui recueillent le bien dans
le patrimoine de leur débiteur affecté de son inaliénabilité, alors qu'en s'interdisant de disposer du bien, l'emprunteur ne peut pas priver ses autres créanciers de
la faculté de saisir le bien qu'ils détiennent de leur droit de gage général11. L'indisponibilité réelle du bien provoquée par la clause d'inaliénabilité stipulée dans les
actes de donation n'est pas conventionnellement envisageable dans un acte non
translatif tel qu'un contrat de prêt12.
10. Cf. R.-N. Schutz, Rép. civ. Dalloz, préc., n° 122 ; B. Thullier, note préc. sous Cass.
1re civ. 31 oct. 2007 et 23 janv. 2008.
11. R. Perrot et Ph. Théry, Procédures civiles d'exécution, Dalloz, 2013, n° 215 ; Y. Chaput, A. Cermolacce et V. Perruchot-Triboulet, J.-Cl. Banque-Crédit-Bourse, fasc. préc., n° 75 ;
Voirin, obs. préc. sous CA de la Guadeloupe, 29 avr. 1935.
12. R. Perrot et Ph. Théry, op. cit., n° 215 ; Y. Chaput, A. Cermolacce et V. PerruchotTriboulet, fasc. préc., n° 56 ; M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac, Ph. Pétel, op. cit., n° 644.
L'interdiction d'aliéner imposée à celui qui est déjà propriétaire et dont la portée serait opposable à tous ne peut résulter que d'une disposition légale (par exemple, l'article L. 626-14 du
Code de commerce en vertu duquel le tribunal qui arrête le plan de sauvegarde peut déclarer
inaliénables les biens indispensables à la continuation de l'entreprise et qui sanctionne par la
nullité les actes passés en violation de cette interdiction). Pour obtenir un résultat comparable
dans les contrats bancaires, il faudrait envisager que le bien financé à l'aide du prêt transite par
le patrimoine du prêteur qui en transmettrait ensuite la propriété à son client amputée du
droit d'en disposer jusqu'au remboursement du prêt (le contrat de crédit-bail permet d'atteindre un résultat assez proche). Sur la possibilité de créer un véritable droit réel de restriction
de l'usage du terrain, dont l'effet est d'interdire un certain type d'usage du bien, mais qui doit
être intégré à l'acte de vente pour s'imposer à l'acquéreur, cf. J.-P. Bus, D. 2015, p. 64. C'est
seulement par un accord entre créanciers que cette insaisissabilité peut être obtenue si un
créancier s'engage à ne pas saisir un bien de leur débiteur commun en vue de favoriser un autre
créancier. Cf. Y. Chaput, J.-Cl. Banque-Crédit-Bourse, fasc. préc., n° 10.
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