Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 329

EMMANUEL JOUFFIN

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CJUE, il est désormais possible d'être l'auteur d'une pratique commerciale trompeuse sans même en avoir eu conscience et être ensuite soumis, au titre de la
jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, à un régime de
prescription d'une très grande élasticité confinant à une « quasi-imprescriptibilité ». Dans l'un et l'autre cas, ces décisions ont été rendues en marge des textes. Si
l'arrêt de la CJUE du 19 septembre 2013 se prévaut de la protection accrue de
consommateurs, il pose néanmoins une question de fond : n'est-on pas en train
de tordre la définition de ce qu'est une pratique commerciale au sens de l'article 2
de la directive du 11  mai 200599, définition qui vise de manière directe les
actions, omissions, conduites et démarche, toutes choses relevant, a minima, une
volonté commerciale objective. En tout état de cause, les retentissements de cette
jurisprudence en droit interne sont considérables, la France ayant pénalisé les
pratiques commerciales trompeuses et agressives.
42. À cet égard, la jurisprudence de la Chambre criminelle de la Cour de cassation s'éloigne elle aussi des textes pour des raisons compassionnelles. Afin de
s'affranchir d'une loi, dont la stricte application permettrait l'impunité aux
auteurs de crimes ou délits mettant en cause la santé publique, sont apparues les
notions d'infractions occultes ou dissimulées permettant de ne faire courir la
prescription, non pas à compter du jour de la commission de l'infraction, mais du
jour où celle-ci est devenue apparente. Récemment, l'Assemblée plénière de la
Cour de cassation100 a, de nouveau, innové en ayant recours à la notion « d'obstacle insurmontable aux poursuites » conduisant à la suspension du délai de prescription. Cette décision suscite au moins deux réflexions. Tout d'abord, rendue
sous le visa de l'article 7 du Code de procédure pénale, on peut se demander si
elle concerne également les délits visés sous l'article 8 de ce même code, ce dernier
renvoyant expressément à l'article 7. Par ailleurs, on s'interrogera sur le fait de
savoir comment il est possible de suspendre le cours d'un délai qui n'a pu débuter
puisque, par hypothèse, aucune mesure d'instruction n'a été possible. En tout état
de cause, cette décision témoigne de la puissance créatrice de la jurisprudence.
43. Si la nécessité de ces constructions contra legem est avérée afin d'assouvir
« le besoin des sociétés contemporaines de perpétuer le souvenir des faits passés
ou de les rappeler à la mémoire. Ainsi, l'oubli d'affaires pénales risque davantage
aujourd'hui de heurter l'opinion publique que de conduire à l'apaisement. En
outre, le sentiment commun prête au rappel de faits traumatiques, sous la forme
d'un procès et d'une condamnation, des vertus thérapeutiques qui permettent
aux victimes de faire leur deuil" et de leur apporter le réconfort nécessaire »101,
99. « toute action, omission, conduite, démarche ou communication commerciale, y
compris la publicité et le marketing, de la part d'un professionnel, en relation directe avec la
promotion, la vente ou la fourniture d'un produit aux consommateurs ».
100. Cass. Ass. Plén. 7 nov. 2014 n° 613 (14-83.739). Il s'agissait d'infanticides multiples
dissimulés pendant dix ans.
101. Rapport d'information fait au nom de la commission des lois et de la mission
d'information de la commission des lois n° 338 du 20 juin 2007 de MM. Hyest, Portelli,
Yung sénateurs, déposé le 20 juin 2007, intitulé "Pour un droit de la prescription moderne
et cohérent".
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