Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 58

DE L'EFFET AUTOMATIQUE DE LA COMPENSATION

le quod perumque fit. Car il ne faut pas oublier que si les effets de la compensation
sont anéantis, c'est pour faire revivre, non seulement la dette du débiteur à l'égard
du cessionnaire, mais aussi sa créance contre le cédant ! En foi de quoi, d'un point
de vue économique et patrimonial, la perte de son exception ne l'appauvrit normalement pas comme il en va lorsqu'il perd le droit d'opposer une nullité ou une
prescription : elle a vocation à être neutre. Cette perte étant ainsi en principe
indolore, la balance des intérêts opérée par le législateur a pu le conduire à privilégier le cessionnaire au détriment du débiteur70, et on comprend que seule la
compensation subisse cette règle extraordinaire. Dès lors, loin de démentir l'effet
automatique de la compensation, l'inopposabilité de l'extinction au cessionnaire
n'en est qu'une limite ayant sa logique propre qui n'implique pas d'y renoncer.
23. Au terme de cette étude, nous arrivons donc à la conclusion que l'effet
automatique de la compensation est une richesse du Code de 1804, qui mérite de
survivre. S'il est vrai que quelques situations montrent qu'en pratique il faut se
prévaloir de la compensation, ou ne pas y renoncer, ou ne pas agir en contradiction avec le principe, pour en bénéficier parfaitement, aucune des règles concernées ne remet véritablement en cause la réalité de l'extinction de l'obligation au
jour où les conditions en sont réunies. Aurons-nous réussi à convaincre ? Sans
doute pas tous les partisans de la théorie volontariste. D'où une dernière tentative
qui consiste, sur grief d'autophagie, à opposer à cette doctrine ses propres arguments. Soit l'hypothèse suivante : A est créancier de B, qui est lui-même créancier
de A. Le premier oppose extrajudiciairement la compensation au second. La dette
est-elle éteinte ? Assurément, répondra-t-on. Et pourtant, si un procès s'ensuit, le
juge sera-t-il obligé de relever d'office l'extinction de l'obligation ? Et est-il certain
qu'il ne condamne pas le débiteur à payer la dette censée être éteinte ? Aucunement... Mais poursuivons tout de même et admettons qu'une décision de justice
soit rendue, qui admette la compensation. La dette sera-t-elle cette fois vraiment
éteinte ? Évidemment, répondra-t-on encore. Et pourtant, si une renonciation à
la compensation advient après cette décision, le renonçant pourra-t-il librement
se prévaloir de la compensation ? Ou si une cession de créance acceptée sans
réserve advient, le débiteur pourra-t-il, en contradiction avec l'article 1295 du
Code civil, opposer l'extinction de l'obligation au cessionnaire ? Personne, à notre
connaissance, ne l'a jamais prétendu (et pour cause, ubi lex non distinguit, nec nos
distinguere debemus...). Où l'on voit que l'hypothèse d'une survie des obligations
compensées jusqu'à son « invocation » n'était peut-être que le résultat d'un effet
d'optique. Il faudrait alors admettre que la compensation éteint l'obligation dès
que les conditions en sont réunies, mais que quelques événements, au demeurant
limités, viennent parfois remettre en cause cette extinction acquise : tel est le
génie de la compensation française.
Décembre 2014
70. Il reste que dans une perspective pratique, la perte de l'exception pourra se révéler
ponctuellement néfaste au débiteur, par exemple si le cédant fait l'objet d'une procédure collective. Pour cette raison, on pourrait souhaiter son cantonnement à l'hypothèse d'une acceptation de la cession en connaissance de la compensation (comp. les auteurs cités note 67).

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