Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 72

LA TRANSMISSION DES CLAUSES DE NON-CONCURRENCE

que donner effet à l'engagement qui avait été contracté. Si la société A [la cédante]
n'avait pas une vue claire sur ce que feraient ses associés postérieurement à la cession, il lui appartenait de ne pas s'engager sur le comportement de ses (sic) personnes. Elle aurait pu contracter un engagement différent. Par exemple, la société
pouvait se porter fort de ce que ses associés souscriraient un engagement de ne pas
exploiter la clientèle cédée ». Il en conclut que le « porte-fort est donc à manier
avec prudence, et il faut notamment être attentif au type de porte-fort que l'on
utilise », mais pour autant il ne voit dans cet arrêt qu'un cas d'application du
porte-fort d'exécution, « où ce n'est pas le consentement à un acte mais l'exécution d'une obligation qui est garantie, ou plus généralement le fait d'un tiers ».
La différence d'appréciation entre les deux auteurs cités permet de mettre en
évidence la question pratique que soulève cet arrêt. Est-il fondé d'assurer au cessionnaire d'une clientèle le versement d'une indemnité par la technique de la
promesse de porte-fort d'exécution ou d'abstention ? La société cédante a souscrit
un engagement que la Cour de cassation analyse comme une « obligation de
résultat autonome ». Pacta sunt servanda. Dès lors, le droit à indemnité du cessionnaire est indéniable car aucune exécution forcée de l'engagement souscrit
n'est possible. Il bénéficie ainsi d'une situation très confortable car l'abstention
exigée des tiers est sans limite de temps ou d'espace, en tout cas au vu des éléments mentionnés dans la décision en cause. Les juges n'ont pas contrôlé le respect des conditions habituelles de validité des clauses de non-concurrence. Ces
conditions devaient être appréciées en l'espèce à travers les stipulations constitutives de l'engagement proposé aux tiers, objet de la promesse de porte-fort. En
effet, on voit mal comment la société cédante (le porte-fort) pourrait être tenue
de verser une indemnité parce que le tiers n'aurait pas ratifié un engagement alors
que le même engagement, ratifié, serait insusceptible d'exécution en cas de violation des conditions de validité des clauses de non-concurrence puisque le débiteur pourrait en invoquer la nullité. D'ailleurs le tiers convaincu de la nullité de
l'engagement ainsi souscrit serait invité à le ratifier, ce qui aurait pour effet de
libérer de son obligation le porte-fort sans pour autant l'obliger à respecter une
clause nulle. Le cessionnaire-créancier serait alors dépourvu de tout recours.
Certes, la Cour de cassation a jugé que l'engagement personnel autonome de se
porter fort qu'un tiers s'engagera comme caution pour garantir la dette du bénéficiaire de la promesse de porte-fort, est indépendant de l'engagement de la caution et de sa validité38. Même si la Cour de cassation considère déjà que celui qui
se porte fort de l'exécution d'un engagement par un tiers s'engage accessoirement
à l'engagement principal souscrit par le tiers à y satisfaire si le tiers ne l'exécute pas
lui-même, et en conclut qu'encourt dès lors la cassation l'arrêt qui condamne
celui qui s'était porté fort à garantir l'exécution de l'opération après avoir retenu,
dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, que la garantie ne pouvait s'analyser comme un engagement accessoire39. Ces décisions ne semblent pas
dotées d'une autorité telle qu'elles soient de nature à mettre fin à la discussion
38. Cass. civ. 1, 25 janv. 2005 : BICC n° 618 du 1er mai 2005.
39. Cass. com., 13 déc. 2005 : BICC n° 637 du 1er avr. 2006.

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