Les Mélanges - Mélanges en l'honneur du professeur Didier R. Martin - 76

LA TRANSMISSION DES CLAUSES DE NON-CONCURRENCE

mort saisissant le vif, les biens transmis par le défunt peuvent l'être également par
l'ayant cause à titre universel et il ne serait ni moral, ni logique, ni opportun, que
cette créance, dépourvue de caractère personnel, ne puisse être transmise. Cela libérerait le débiteur en brisant l'équilibre économique voulu par les parties. Le cessionnaire, pour obtenir cet effet, a assumé une contrepartie : le paiement. La clientèle
acquise et sa clause de protection contre les détournements du fait du cédant ont
subrogé ce prix dans son patrimoine.
La transmission de la créance de non-concurrence à l'ayant cause particulier
semble donc constituer un acquis aussi solide que sa transmission à l'ayant cause
universel47. L'ayant cause à titre particulier a la qualité de tiers à l'égard des
contrats conclus par son auteur. Pour qu'une créance lui soit transmise, il faut soit
qu'elle lui soit véritablement cédée, soit déroger au principe de l'effet relatif des
contrats. Le Code civil prévoit quelques techniques à cette fin : la stipulation
pour autrui, la promesse de porte-fort. Recourir à la cession de créance, qui permet de transférer une créance au prix d'un formalisme contraignant que les tribunaux acceptent parfois d'alléger, semble parfaitement adapté à notre hypothèse.
Ces techniques sont régulièrement invoquées par la doctrine pour fonder les solutions jurisprudentielles qui admettent la transmission de la créance de nonconcurrence à un ayant cause à titre particulier. La transmission de la créance de
non-concurrence est une question qui relève du droit économique. Les techniques civilistes utilisées ne sont pas toujours adaptées et les adaptations prétoriennes proposées sont parfois audacieuses. Le contexte socio-économique, qui
favorise la protection de la liberté de la concurrence au prix d'un léger reflux
parfois de la liberté contractuelle, n'est pas propice à l'élargissement et à l'assouplissement de ces solutions.
Les circonstances dans lesquelles la créance non-concurrence se transmet sont
les suivantes :
- cession de l'entreprise et invocation de la créance de non-concurrence de
l'employeur cédant par l'employeur cessionnaire48 ;
- cession du fonds de commerce49, d'une clientèle commerciale, d'une clientèle civile50 et invocation de la créance de concurrence dont le débiteur est le cédant initial par un des cessionnaires successifs ;
47. Cass. civ. 3 déc. 1996, JCP. éd. G. 1997. II. 116, note J.-J. Daigre ; D. 1997. 151,
note Y. Serra ; réserve faite des contrats de franchise ci-dessus mentionnée.
48. Conséquence miroir (ou effet boomerang) de ce que l'article L. 1224-1 du Code du
travail dispose que « lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de
l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le
nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ».
49. Les encyclopédies juridiques et traités ou manuels citent des exemples illustrant cette
hypothèse.
50. Non sans difficulté puisque dans un premier temps cela n'avait pas été admis : v. déjà
Carbonnier, note sous Trib. civ. de Foix, 31 mars. 1948 qui écrit « le médecin qui cède sa clientèle n'abandonne ses malades qu'en considération des qualités du successeur qu'il a pu lui-même
choisir ; si celui-ci décide ensuite de se substituer un tiers, la personnalité de ce tiers peut être telle

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