Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 116

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LE TEMPS DES INSTITUTIONS

B. Le régime de Vichy : communautés professionnelles
et comités sociaux
Si les avancées sociales du Front populaire n'ont pas résisté à l'entrée
en guerre en 1939, ni à l'instauration du régime de Vichy en 1940, il est
cependant difficile d'établir une césure entre la III e République et la
révolution nationale en termes de construction d'un cadre de régulation
collective du monde du travail. Malgré de nombreuses différences dans
les faits et la transformation relative du personnel politique, administratif
et syndical, il existe une continuité incontestable, au moins sur le plan
des idées et des objectifs, entre la construction dans les années 1930 d'un
modèle corporatiste auquel nombre d'acteurs de la régulation du travail
adhèrent et la production d'un corpus doctrinal et juridique autour des
« communautés professionnelles » pendant la révolution nationale.
Dans son ouvrage sur le droit du travail et les syndicats sous Vichy12,
Jean-Pierre Le Crom montre combien, dans la France des années 1930, à
la différence des autres démocraties (en particulier la Grande-Bretagne),
les « partenaires sociaux » n'ont pas pu s'entendre autour d'une vision
commune des besoins de la nation, le patronat prenant sa revanche sur le
Front Populaire et imposant brutalement, avec l'accord de l'État, des conditions de travail et de salaire insupportables aux ouvriers. Paternalisme et
autoritarisme font leur retour dans les usines, alors que par un décret-loi du
4 octobre 1939 le gouvernement supprime l'élection des délégués ouvriers.
Pour Jean-Pierre Le Crom, cette « absence totale de collaboration dans
les entreprises [qui] n'est pas compensée au niveau national » s'explique
principalement par « l'instabilité du droit des relations professionnelles »13.
En juillet 1940, René Belin, l'un des secrétaires confédéraux de la CGT
(dont il représente l'aile droite), fondateur de la revue Syndicats et très
réticent envers la réunification entre CGT et CGTU de 1936, devient
ministre du Travail du premier gouvernement Laval à Vichy. La loi du
16 août 1940 supprime les organisations syndicales et prévoit la dissolution
des organisations patronales ; elle organise surtout la production française
en comités d'organisation (CO), qui constituent l'ébauche d'une structuration en communautés professionnelles et réunissent employeurs et
représentants de l'État pour la prise des décisions économiques concernant
les différents secteurs de production. Mais le cœur de la législation vichyste
en la matière reste la Charte du travail. Publiée en octobre 1941, sa rédaction
est « ubuesque » (Jean-Pierre Le Crom). Conformément à l'idéologie
12. Le Crom J.-P., Syndicats, nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Éditions de l'Atelier,
1995.
13. Ibid., p. 23 et p. 55.

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