Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 118

114

LE TEMPS DES INSTITUTIONS

Les années 1945-1946 voient donc se poursuivre l'œuvre de constitution
d'un droit social, au sens d'un droit socialisé, dont l'acteur central est un
acteur collectif : l'organisation syndicale. C'est là le cœur du programme du
CNR, adopté le 15 mars 1944 et qui s'engageait à instaurer « une véritable
démocratie économique et sociale », passant par « la participation des travailleurs à la direction de l'économie » et « la reconstitution, dans ses libertés
traditionnelles, d'un syndicalisme indépendant, doté de larges pouvoirs
dans l'organisation de la vie économique et sociale »16. Ce programme est
donc globalement appliqué dans une version modérée, à travers un certain
nombre d'ordonnances en 1945 et de lois l'année suivante : les comités
d'entreprise sont créés par l'ordonnance du 22 février 1945, puis par la loi
du 16 mai 1946. Ils ont une double fonction : ils permettent, selon les termes
de l'ordonnance, que « le personnel » soit « associé à la marche générale de
l'entreprise dans laquelle il travaille ». Ils sont également décisionnaires dans
la gestion des œuvres sociales de l'entreprise. Contrairement aux espoirs des
partisans d'un pouvoir syndical fort, les membres du comité d'entreprise ne
sont pas désignés par les organisations syndicales mais élus par l'ensemble
de la collectivité. Pour autant, les mêmes textes de loi ouvrent la voie à une
reconnaissance de la place du syndicat dans l'entreprise, dans la mesure où
ils attribuent aux syndicats l'exclusivité des candidatures au premier tour des
élections du comité d'entreprise puis des délégués du personnel. Enfin, la
liberté syndicale présume le droit de grève, qui est affirmé dans le préambule
de la Constitution de la IVe République. Plus tard, la loi du 11 février 1950
sur les conventions collectives parachève l'ensemble. Elle prolonge les lois
de 1919 et 1936 en établissant l'obligation de signer une convention au sein
de chaque branche, et à un niveau territorial. Seules les conventions signées
par les organisations désignées comme représentatives sont susceptibles
d'être étendues au territoire national, après accord du ministère du Travail
et avis de la commission supérieure des conventions collectives.
L'ensemble de ces règles est le produit d'une sorte d'alliance objective
entre des contraires politiques : reconnaître la triple nécessité d'une législation sociale, d'organisations puissantes représentant les salariés et d'espaces
de négociation, renvoie à deux positions très opposées, ici réunies sous la
forme d'un malentendu productif ou d'un accord négocié : soit la position
des organisations révolutionnaires et de la CGT défendant un « contrôle
ouvrier » sur la direction des entreprises ; soit celle des partis réformistes
ou conservateurs (en particulier dans le Mouvement républicain populaire
- MRP - et dans celui des gaullistes de gauche) et de la CFTC cherchant la
« paix sociale » et espérant la trouver en reconnaissant l'existence de « partenaires sociaux » susceptibles de représenter l'intérêt des salariés.
16. Cité par Le goFF J., Du silence à la parole, op. cit., p. 464.
Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels

Table des matières de la publication Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels
