Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 124

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LE TEMPS DES INSTITUTIONS

centralité du droit du travail dans la société actuelle, centralité due à la
place croissante occupée par les questions du travail, du syndicalisme et
du mouvement social.
Ces convergences ne peuvent cependant masquer les clivages majeurs
entre des auteurs que tout sépare, hormis la nécessité de défendre le droit
du travail et de le faire émerger comme une discipline universitaire. C'est
même une opposition terme à terme qui transparaît des ouvrages, depuis la
restitution de l'histoire du droit du travail jusqu'à l'analyse de ses catégories
juridiques. Gérard Lyon-Caen défend une vision explicitement marxiste du
droit du travail, qu'il définit comme « régi[ssan]t à l'exploitation du travail
humain en régime capitaliste ; b) les instruments de lutte des travailleurs
contre cette exploitation ; c) les restrictions incessantes subies à raison de
cette lutte par le régime d'exploitation lui-même. » Jean Rivero et Jean
Savatier expliquent de leur côté que « le droit est créateur d'ordre, d'une
part, de liberté d'autre part. Or la production industrielle ne peut se passer
d'une discipline de travail, quel que soit le régime juridique selon lequel elle
est aménagée. [...] D'où son importance pour la paix sociale et l'harmonie
de la nation [...]. Ce sont les préoccupations sociales, et le souci d'humaniser la condition ouvrière, qui ont été à l'origine du développement du
droit du travail ; elles continuent d'y jouer un rôle essentiel ». Lutte des
travailleurs contre l'exploitation capitaliste, marxisme d'un côté, ordre,
harmonie, paix sociale et christianisme social de l'autre.
Les biographies de Gérard Lyon-Caen et de Jean Savatier éclairent ces
clivages. Gérard Lyon-Caen (1919-2004) est à l'époque un des seuls professeurs de droit venu au droit du travail par engagement militant, comme
il l'expliquait dans un entretien que j'ai réalisé avec lui deux ans avant
sa mort en 2004 : devenu sympathisant du parti communiste pendant la
Résistance, y ayant adhéré pendant son passage à Hanoï (son premier poste
après l'agrégation obtenue en 1947), et l'ayant quitté au moment des événements de Budapest, il place son activité de travailliste dans une perspective
d'engagement militant auprès du mouvement ouvrier. Il reste d'ailleurs le
« compagnon de route » du parti et demeure proche de la CGT tout au long
de sa vie. Issu d'une grande famille de professeurs de droit (son grand-père
était doyen de la faculté de droit de Paris au début du siècle), il devient
professeur à Dijon après le passage par l'Indochine, puis à la faculté de droit
de Paris. Après 1968, il participe à la fondation de l'université Paris 1, dont
il devient directeur de l'UFR de droit dans les années 1970. Tout au long de
sa carrière, il défend un droit du travail marxiste, et nombre de ses assistants
feront de brillantes carrières universitaires ; ses nombreux manuels structurent profondément le droit du travail : après le manuel de 1956, il publie
avec Guillaume Cammerlynck le manuel de chez Dalloz, repris dans les
années 1980 avec Jean Pélissier et Alain Supiot, puis par son fils Antoine
Lyon-Caen et Antoine Jeammaud. Il publie aussi dès 1980 un manuel de
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