Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 143

LE RôLE DES « ANONYMES »

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secondaires tout comme ses sœurs et son frère41. Elle rentre au ministère du
Travail en 1929 comme rédacteur stagiaire. Elle continue sa progression au
sein du ministère du Travail jusqu'en 1946, année où elle dirige le deuxième
bureau (information et documentation), et se trouve donc parmi les trois
directeurs immédiatement placés sous la hiérarchie du directeur général de
la Sécurité sociale, Pierre Laroque. Nommée secrétaire générale adjointe
du Conseil économique de 1946 à 1948, elle rejoint ensuite le ministère de
la France d'outre-mer. En 1948, alors administrateur civil, elle est en effet
détachée à la direction du service central de l'inspection générale du travail
pour les territoires d'outre-mer en tant qu'inspecteur général du travail et
des lois sociales.
L'entrée dans la profession de rédacteur au ministère du Travail en 1929
de Lucrèce Guelfi n'est pas surprenante pour cette administration : comme
l'a montré Jean-Luc Bodiguel, la « féminisation » en constitue une « donnée
de base ». Lucrèce Guelfi devient comme rédacteur stagiaire à une période
particulièrement faste pour l'intégration des femmes à ces postes situés en
bas de l'échelle. Entre 1920 et 1929, 65,1 % des recrutés sont des femmes,
alors qu'à partir de 1930 jusqu'à la seconde guerre mondiale, le pourcentage
tombe entre 40 et 43 %42. Pour comparaison, le pourcentage de femmes
rédacteurs en 1929 pour les autres ministères est de 19 % à l'Agriculture,
« 27,7 % aux Travaux publics, 16,6 % à la Marine marchande, 21,8 % au
Commerce, 16,1 % aux Pensions, 24,4 % à la Guerre »43. La comparaison
avec le ministère du Commerce mérite d'être mise en évidence, car cette
administration a été la première à ouvrir le concours de rédacteur aux
femmes en 1919. Le ministère du Travail suivra en 1921.
L'entrée de Guelfi se fait donc à la faveur d'un mouvement plus général,
mais cette analyse vaut-elle également pour sa progression de carrière ?
En d'autres termes, est-il exceptionnel de trouver des femmes à des postes
d'encadrement ? Là encore, les chiffres avancés par Jean-Luc Bodiguel sur
un panel allant de 1906 à 1960 montrent que Lucrèce Guelfi n'est pas une
exception : en 1933, les femmes représentent 39 % des cadres ; en 1943, 43 %
sont chefs ou sous-chefs de bureaux ; en 1945, elles deviennent majoritaires
(58,8 %)44. Cette tendance est freinée bien plus tard, notamment à cause de
l'ENA, faiblement féminisée à l'origine. Cette transformation est tardive du
fait que le « ministère du Travail n'attire guère les jeunes énarques et n'offre
41. Rapports et délibérations du Conseil général du département des Bouches-du-Rhône,
s.l., 1923, p. 823.
42. bodigueL J.-L., « Une image de l'administration centrale : les rédacteurs du ministère
du travail (1906-1960) », Travail et emploi, 110, avril-juin 2007, tableau 1, p. 79.
43. Chiffres donnés par Jean-Luc Bodiguel en s'appuyant sur des données de Clark
(op. cit.).
44. Idem.

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