Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 158

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

liée à l'éviction du droit ouvrier spontané par le droit du travail des juristes
dont rend compte l'opposition droit et bon droit d'Alain Cottereau25.
Maxime Leroy est le précurseur de l'idée d'un droit social indépendant,
voire opposé à celui de l'État26. Dans La coutume ouvrière (1913) ce juge
de paix expose la « vie juridique autonome » des syndicats, « développée
librement, en dehors de la loi » et dont ce répertoire du droit prolétarien
livre une systématisation27. La concordance des règles de l'action syndicale
prouve en effet l'unité de ce qui est bien un droit, à propos duquel Leroy
développe l'idée de sanction sociale - tout en refusant d'admettre (contre
Sorel) « que toute violence est bonne du moment qu'elle est prolétarienne »28. Reste que, contre « la bourgeoisie, en elle, naît une civilisation
dont nous ne pouvons certes prévoir les aboutissements, mais dont nous
voyons déjà l'action, l'agitation et les œuvres »29.
Si cette idée d'un droit ouvrier autonome est reprise par certains professeurs, parle-t-on encore de la même chose ? Pour Jules Charmont, les
juristes, professionnels du droit bourgeois (magistrats, avocats, universitaires) sont, d'évidence, étrangers au monde ouvrier ; mais la légalité étant
« une force dont le prolétariat finira par savoir se servir »30, l'ordre social
nouveau devrait amener une nouvelle conception du droit, fondée sur la
solidarité. Ce discours réformateur justifie la conciliation des classes, par
laquelle le prolétariat renonce à « remplacer une législation de classe par une
autre », et la bourgeoisie, pour faire l'économie d'une révolution, accepte
de « reconnaître ce qu'a de légitime le mouvement d'émancipation de la
classe ouvrière »31.
Paul Pic substitue à la législation du travail édictée en faveur des ouvriers,
la législation ouvrière consacrée par l'usage, qui constitue « une branche
du droit autonome » par son esprit et ses méthodes32. L'intervention de
25. Cottereau A., « Droit et bon droit. Un droit des ouvriers instauré, puis évincé, par
le droit du travail », Annales histoire et sciences sociales, 2002/6, p. 1521-1557. L'auteur
distingue la légalité textuelle (droit) de la légalité légitime (bon droit) et souligne comment
la contribution d'Ernest Glasson au Livre du centenaire (« Le Code civil et la question
ouvrière ») a placé la subordination de l'ouvrier au cœur du contrat de travail.
26. Voir H errera C.-M., « Constellations juridiques [...] », op. cit., p. 151 ;
Chambost A.-S., « Le sens de l'ordre dans la passion de la liberté : le droit prolétarien de
Maxime Leroy », MSHDB, 2013, vol. 70, p. 353-371 ; id., compte rendu de La coutume
ouvrière, RTD civ., 2015, 2.
27. Leroy M., La coutume ouvrière, Giard et Brière, 1913, t. 1, p. 10.
28. Ibid., p. 17.
29. Ibid., t. 2, p. 881.
30. Charmont J., « La socialisation du droit », Revue de métaphysique et de morale,
1903, p. 396.
31. Ibid., p. 404 et p. 405.
32. PiC P., Traité général théorique et pratique de droit commercial, op. cit., 1930, 6e éd.,
p. XIV.
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