Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 166

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

rapports sociaux, il a surtout vocation à encadrer la classe ouvrière85 - ce
qui interroge les limites de son action réformatrice86. Derrière la démocratisation de la vie sociale et la réduction des tensions politiques qui fondent le
projet républicain, l'État jouerait en somme le travail au profit du capital, en
imposant le champ du social « au sein d'un capitalisme "humanisé" »87 pour
réduire « l'intensité de la lutte des classes »88. Le droit du travail procède
donc de l'État bourgeois, dans les appareils duquel sont prises les luttes
ouvrières89.
Antoine Jeammaud a nuancé depuis lors, en expliquant que le droit
du travail n'est « pas davantage un pur produit de la lutte des travailleurs arrachant des concessions à la bourgeoisie et à l'État, qu'il n'est une
collection de faveurs généreusement accordées aux salariés (ou) une création
machiavélique de la classe dominante s'ingéniant à distiller des illusions au
prolétariat »90. Il n'est sans doute en effet rien de tout cela exclusivement,
et pourtant il participe peut-être quand même un peu de tout cela à la fois,
ce qui expliquerait l'équivoque persistante du mot d'ordre d'autonomie
attaché au droit du travail91.
Les rêves d'émancipation du xixe siècle ne pensaient pas l'autogestion
dans l'entreprise92. Une tendance vers l'association du travail et du capital
se fait certes jour dans les années 1920 quand on commence à songer à

85. Les auteurs dénoncent l'idéologie de la neutralité du droit, dont les principes masquent
une « représentation illusoire de la réalité sociale adéquate à l'hégémonie de la classe dominante » ; la pratique judiciaire et doctrinale n'est pas neutre, « les aspirations et les convictions politiques des juristes et des juges ne sont pas étrangères aux argumentations et aux
solutions qu'ils adoptent, même si certains sont convaincus d'être extérieurs à l'antagonisme
fondamental de la bourgeoisie et de la classe ouvrière » ; CoLLin F. et al., Le droit capitaliste
du travail, op. cit., p. 124 (voir aussi p. 243).
86. « Le droit du travail, à la fois produit et enjeu de la lutte des classes, intègre les intérêts
des salariés à l'ordre capitaliste et limite dans une certaine mesure l'exploitation de la force
de travail », mais le juriste « donnera toujours les armes à quelqu'un, et loin d'opérer un
arbitrage, confortera une position de classe », ibid., p. 117.
87. Ibid., p. 27.
88. Ibid., p. 26.
89. Comp. ÉdeLman B., La légalisation, op. cit., p. 10 : « Si l'on se borne à comprendre le
mouvement ouvrier par ses "conquêtes" légales, nul doute que nous ne fassions alors de
"l'histoire légale" et que, de ce fait, nous reproduisions le point de vue de la bourgeoisie ».
90. Jeammaud A., « Propositions pour une compréhension matérialiste [...] », op. cit.,
p. 337.
91. Droit du travail que Jeammaud définit d'ailleurs comme droit du capitalisme puisqu'il
est un « secteur spécifique de l'ordre juridique d'une société où domine le mode de production capitaliste, mais adéquat à cette domination », ibid., p. 338.
92. Une nuance chez Proudhon : Le manuel du spéculateur (1853) suggère de transformer
les SA par actions, en compagnies ouvrières : la « commandite du travail par le travail » ;
Proudhon P.-J., Le manuel du spéculateur à la Bourse, ère, 2009, p. 119 et s.
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