Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 170

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

raient de limiter le Code du travail à quelques principes fondamentaux113,
l'exigence de syndicats suffisamment forts pour négocier des règles
complémentaires, faute de quoi la disproportion des forces entraînerait
une « régression profonde » de la condition salariale114.
Nonobstant ces mises en garde, flexibilité et dérégulation restent
l'horizon des réformes en cours. Alain Supiot en justifie l'attraction durable
par un effet de synergie idéologique115 qui les situe au point de rencontre des
deux finalités antagonistes dont on s'est attaché ici à restituer la tension au
fil du temps : un projet autogestionnaire hérité des luttes du début du
xxe siècle, et un rêve libéral puisé dans la pensée économique du xixe siècle.
Evelyne Severin souligne le processus de division des tâches dans lequel
l'État républicain s'est engagé, en instituant « l'appareillage juridique » qui
le déleste de tout ou partie de sa mission de production de règles116. Autour
des conventions collectives, un foyer de production juridique s'est en effet
développé, dont la vocation était de compléter la production étatique de
règles relatives à la réglementation générale du travail ; mais si la logique
libérale - avec son imaginaire d'un droit sans État - promeut aujourd'hui la
libre négociation par l'abstention de l'État, la fonction de celui-ci ne semble
plus devoir être que subsidiaire au regard d'une production autonome de
normes collectives. Synonyme de simplification et d'efficacité - termes qui
ne sont jamais définis - ce mouvement de dérégulation présenté comme la
source d'un droit du travail revivifié, étant adossé à une image du dialogue
social dont on évince toute idée de rapport de force117, amène plus que
jamais à questionner la capacité critique du droit du travail à transformer
(ou au moins à influencer) le système économique et les rapports sociaux.
À l'heure où ces lignes sont écrites, les réactions très vives suscitées par la
loi El Khomri - en dépit des aménagements qu'elle a déjà subis - amènent
à reconsidérer la finalité de certains rêves d'autonomie, avec en tête ces
paroles de Lacordaire en 1841 : entre « le fort et le faible [...], c'est la liberté
qui opprime et c'est la loi qui affranchit »118.

113. Aujourd'hui, voir Badinter R. et Lyon-Caen A., Le travail et la loi, Fayard, 2015.
114. Lyon-Caen G., « La bataille truquée de la flexibilité », op. cit., p. 810.
115. SuPiot A., « Déréglementation des relations de travail [...] », op. cit., p. 202.
116. Severin E., « Préface à Didry C. », in Naissance de la convention collective. Débats
juridiques et luttes sociales en France au début du xxe siècle, éd. EHESS, 2002, p. 6.
117. Dans le rapport Combrexelle (9 septembre 2015), le dialogue social est présenté
comme « le point de convergence qui permettrait d'assurer l'efficience économique et le
progrès social ».
118. LaCordaire H.-D., « Du double travail de l'homme » (16 avril 1848), Œuvres du
R.P. Henri-Dominique Lacordaire de l'ordre des Frères prêcheurs, Poussielgue frères, 1872,
vol. IV (années 1846-1848), p. 471-495.

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