Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 178

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

« tous les caractères et toutes les ambitions d'une association publique »48,
nos privatistes envisagent plutôt l'ensemble formé par les entreprises d'une
même branche de production qui font naturellement corps les unes avec
les autres. Rares sont ceux qui, à l'instar de Jean Cruet49, assimilent le droit
corporatif au droit produit pas le syndicat. S'ils souhaitent l'avènement de la
« loi professionnelle », ils la définissent comme la « règle générale pour tous
les membres de la profession »50, le fruit de la collaboration des représentants des « employeurs et des employés » qui forment ensemble une société
« naturelle ». Alors que le syndicat obligatoire « serait la concurrence, la
lutte, non plus des individus, mais des classes »51, le système corporatif est
précisément perçu (donc promu) comme une garantie contre la lutte des
classes. C'est ici l'occasion de remarquer que la crainte, donc le rejet, de la
lutte des classes constitue une clé d'explication importante des raisonnements tenus à propos du droit ouvrier : le seul moyen d'éviter cette lutte
est d'introduire la mixité, donc de préférer la corporation.
La position dominante est néanmoins incarnée par François Gény, qui
balaie ces prétentions d'un revers de main. Pour trouver des groupements
distincts de l'État et susceptibles de créer du droit, il ne faut pas chercher
dans la société nationale organisée par l'État mais au-delà des États, c'està-dire dans l'Église catholique romaine52 qui jouit d'une autonomie et qui
s'est « franchement » dégagée de la plupart des États dans le domaine international. La raison en est que la production du droit nécessite, dans le corps
social, la présence d'une autorité, d'une hiérarchie (lien règle de droit/
contrainte), ce qui se rencontre précisément dans l'organisation de l'Église
romaine, dominée par le « principe d'autorité ». Bref, il faut un « pouvoir »
capable non seulement d'édicter la règle juridique, mais de la sanctionner.
Or, contrairement à Leroy53, Gény tient le pouvoir syndical comme une
tyrannie : un pouvoir brut (brutal), de fait, dépourvu de légitimité (laquelle
semble impliquer nécessairement pour Gény une transcendance). En conséquence, un groupement dont l'appartenance de classe est le seul critère
manque de l'organisation qui ferait de lui un corps social véritable : « Le
48. Id., La coutume ouvrière, op. cit., t. i, p. 201 et t. i, p. 489.
49. Cruet J., La vie du droit et l'impuissance des lois, op. cit., p. 151.
50. Morin g., La loi et le contrat. La décadence de leur souveraineté, 1927, p. 17.
51. Ibid., p. 22.
52. Sur l'Église comme milieu de droit corporatif, voir Cruet J., La vie du droit et l'impuissance des lois, op. cit., p. 149. Mais le droit de l'Église catholique est un « droit corporatif qui
s'en va » alors que le droit syndical est le « droit corporatif qui vient » (p. 151).
53. Du côté des publicistes, Duguit (« Le droit constitutionnel et la sociologie », Revue
internationale de l'enseignement, 15 novembre 1889, p. 19) considère aussi qu'il existe dans
la société, à côté de l'État, des « centres nerveux secondaires » (famille, association, classe
sociale) formant des groupements homogènes fondés sur des liens de solidarité et générant
leur propre droit objectif.

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