Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 18

LA RÉCEPTION DU DROIT DU TRAVAIL

que la négociation d'entreprise serait plus proche des choix économiques
de l'entreprise et des choix individuels des salariés. Si cette inversion de la
hiérarchie des sources du droit du travail favorise l'individualisation de la
relation de travail, non seulement elle court-circuite les organisations syndicales (quid de leur caractère représentatif dans les référendums internes qui
donnent la parole aux salariés ?), mais elle induit une concurrence entre des
salariés désunis (les intérêts divergents compliquent la défense de revendications communes).
La généralité de la loi n'est certes que relative en droit du travail, lequel,
mettant le droit à l'épreuve de la diversité, s'est d'emblée « constitué sous
l'acceptation de la distinction et de la différenciation »35. La critique de
l'abstraction de la loi, qui devrait s'effacer devant le caractère concret de
la négociation, projette en quelque sorte le droit du travail dans l'imaginaire libéral d'un droit sans État, avec le postulat d'un équilibre spontané
des intérêts des partenaires sociaux dans une sorte de co-construction
du social 36. Cet imaginaire, véhiculé par de nombreux commentateurs et analystes, oublie cependant une réalité rappelée par le rapport
Combrexelle : « De tous les pays occidentaux, la France est l'un des pays
qui s'est le plus résolument tourné vers la négociation collective depuis
ces dix dernières années »37. L'idée d'inversion de la hiérarchie des normes
n'est en effet pas nouvelle. Dès 1982, les lois Auroux introduisaient la
possibilité de déroger à la loi dans le domaine du temps de travail ; depuis
lors, l'histoire du temps de travail n'a été qu'une extension des possibilités
de dérogation (au niveau de l'entreprise, et sur des thèmes de plus en plus
larges) - faisant dire aux observateurs que l'article 2 tant discuté de la loi
El Khomri s'inscrivait en réalité dans une longue histoire. Reste que la
tendance à faire du dialogue social l'alpha et l'omega d'un Code du travail

35. BouiLLoux A., « La loi ou le mythe de l'uniformité », in Béraud J.-M. et Jammeaud A.
(dir.), Le singulier en droit du travail, Dalloz, 2006, p. 8.
36. Il n'est évidemment pas question pour ses promoteurs de revenir à la situation qui
prévalait au xixe siècle. Barthélémy et Cette remarquent ainsi que « la contraction souhaitable
du droit réglementaire ne doit pas laisser le champ au seul contrat individuel de travail,
car ce dernier n'a pas, en raison du déséquilibre des pouvoirs entre le salarié et le chef
d'entreprise, la faculté de faire (seul) la loi des parties. En raison de la fonction protectrice
du droit social, l'objectif ne doit pas se résumer à la diminution des contraintes, y compris
au nom de l'efficacité économique et même de l'emploi. Toutefois, cette fonction protectrice peut s'exercer autrement que par un tissu réglementaire abondant : en privilégiant les
contraintes de nature contractuelle et la qualité des relations sociales, on concilie mieux
objectif économique et aspiration sociale, notamment grâce à des normes adaptées à chaque
contexte particulier » ; BarthéLémy J. et Cette G., « Réforme du droit social et efficacité
économique », Revue française d'économie, 2008, 23-2, p. 59-60.
37. CombrexeLLe J.-D., La négociation collective, le travail et l'emploi, France Stratégie,
sept. 2015, p. 13.

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