Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 182

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

moment, Paul Lerebours-Pigeonnière dresse la liste des habitudes propres
à la famille ouvrière : « En pratique, la femme ouvrière [...] touche ce salaire
sans l'intervention du mari [...] dans certains centres industriels, elle touche
directement le salaire du mari ». De telles habitudes, dérogatoires au pouvoir
domestique que le Code civil garantit au mari, ne prouvent-elles pas que
« les rapports entre époux s'organisent suivant les mœurs, et non pas
suivant les prévisions de la loi »68 ? On s'interroge même sur les causes de
ces mœurs, notamment les unions libres, qui concernent surtout le « même
compartiment social » (« ouvriers » ou « petits employés »69), qu'on explique
soit par les trop nombreuses formalités de célébration du mariage (alors
que Troplong70 considérait encore au milieu du xixe siècle que ces formalités avait été organisées de manière démocratique et populaire par le Code
civil)71, soit par « l'égoïsme individuel » censé dominer dans les milieux
ouvriers72... Ces causes élucidées, on cherche à encourager le mariage de
l'ouvrier en simpfiant davantage encore les formalités73. Au mariage de
l'ouvrier, on ne trouve que des avantages, tant pour l'ouvrier lui-même
ou sa femme (l'association provoque mécaniquement une diminution des
dépenses) que pour le capitaliste (le mariage sédentarise et stabilise les
relations de travail) et l'État (en favorisant la natalité), alors que l'union
libre, promue par les « socialistes », aurait pour conséquence le développement de la prostitution74. Mais, d'une part, les causes qui ne sont pas
proprement juridiques, comme l'exode rural, ne sont pas signalées. D'autre
part, s'ils militent souvent pour un allégement des formalités du mariage,
nos privatistes n'évoquent jamais une éventuelle modification des effets
du mariage, parce que modifier ces effets, c'est modifier l'ordre dans la
famille, donc dans la société. Ils feignent ainsi de ne pas voir dans ce refus du
mariage le rejet du mariage « bourgeois », c'est-à-dire le rejet d'un modèle
élaboré par un autre groupe social. La jurisprudence relative à l'union libre,
qu'ils approuvent, est d'ailleurs révélatrice : si elle lui fait produire certains
effets de droit propres au mariage, c'est seulement lorsqu'elle le singe et
qu'il est possible de constater toutes « les apparences de la vie conjugale »75,
intégrant dans le monde juridique les seuls comportements jugés conformes
68. Lerebours-Pigeonniere P., « La famille et le Code civil », op. cit., p. 288.
69. Josserand L., « L'avènement du concubinat », DH 1932, chr. 45.
70. Voir son Mémoire sur l'esprit démocratique du Code civil lu à l'Académie des sciences
morales et politiques, publié dans les t. xxxii, xxxviii et xxxix de la Revue de
législation.
71. CoLin a. et CaPitant h., Cours élémentaire de droit civil français, 1930, 6e éd., t. i,
p. 122.
72. Lerebours-Pigeonniere P., « La famille et le Code civil », op. cit., p. 287.
73. Cours élémentaire de droit civil français, 1930, 6e éd., t. i, p. 122.
74. Caron m., Le mariage de l'ouvrier, thèse Droit, Caen, 1901, p. 107, qui propose,
p. 145, d'instaurer le salaire familial et d'enseigner dans des « écoles ménagères » aux familles
ouvrières comment employer leurs ressources.
75. Cass. civ., 12 mai 1925, DP 1925.1.124, 6e espèce.
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