Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 186

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

pas aussi poussé que dans le système de la représentation du peuple par les
juristes imaginé par Puchta. La coutume est une œuvre consciente, donc
voulue, et contrôlée (par le juge ou la doctrine). Le projet civiliste (car il y
a bien entente, expresse ou tacite) consiste ainsi en une critique en règle de
la conception positiviste du droit, la référence à la raison autorisant, précisément, le renvoi à des principes supérieurs qui permettent le contrôle des
faits, le contrôle de la coutume, parmi lesquels, par exemple, la justice, mais
pas au sens que Léon Duguit donne à ce mot. Ainsi s'explique la si grande
importance que nos auteurs attachent à la détermination des conditions
d'existence de la coutume : c'est là que viennent se loger les « garanties »
du caractère juste et acceptable de la coutume.
En second lieu, les raisons liées à la conception que nos juristes se font de
la coutume tiennent à la manière très décontextualisée d'aborder la question
des sources du droit dans une société donnée. Nos privatistes réfléchissent
à la coutume comme à un phénomène abstrait indépendant de tout contexte
social. Les exemples de règles coutumières cités ne concernent jamais (ou
rarement) les pratiques de tel ou tel groupe social mais révèlent et relèvent
d'une analyse historique et/ou purement technique et déracinée et non
pas sociologique. Lebrun l'avoue : l'étude de la nature de la coutume doit
se conduire abstraction faite de toute question relative à son autorité dans
une société déterminée.
Enfin, se dresse contre la reconnaissance comme coutumes des habitus
du monde ouvrier (et plus généralement contre la reconnaissance d'un
droit ouvrier autonome) l'argument de l'égalité civile et de l'unité du droit.
Jean Cruet concède, il est vrai, qu'il existe dans toute société « des cercles
juridiques » à l'intérieur desquels les pratiques des individus donnent
naissance à des coutumes dont le champ d'application se trouve ainsi
délimité, et que les coutumes n'émanent jamais de la volonté générale de
la nation, mais « sont élaborées par et pour chaque catégorie sociale »89.
François Gény ou Lebrun90 (« il y a en effet des règles qui sont bonnes
89. Cruet J., La vie du droit et l'impuissance des lois, op. cit., p. 168-169. Cela dit, parmi
les exemples qu'il donne (coutumes commerciales, rurales, foncières, parlementaires, administratives, civiles), l'auteur n'envisage que les coutumes industrielles et non pas, stricto
sensu, les coutumes ouvrières.
90. En Belgique, Jean Dabin reconnaît que le droit de classe ne met pas en cause la paix
sociale. En concédant à chaque catégorie d'individus le régime juridique qui lui convient,
il prévient les conflits (« Droit de classe et droit commun », op. cit., p. 76). Il ne met pas
non plus en cause l'intérêt général et l'égalité civile. Le premier s'accommode parfaitement
d'une « synthèse équilibrée » entre les intérêts des particuliers et les intérêts des catégories,
et la seconde ne doit pas être prise dans le sens absolu de l'égalité arithmétique, mais dans
le sens plus relatif de l'égalité proportionnelle. Dabin en conclut que l'idée d'un « droit
commun universel » n'est qu'une illusion (op. cit., p. 75) et que le principe même d'un droit
de classe est légitime (tout cela est conforme aux conceptions anthropologiques et sociales
de Dabin : il y a, dans la personnalité humaine, des éléments constitutifs essentiels et accidentels, la profession et le milieu social font partie des seconds), dès lors que ses applications

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