Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 209

LES CATHOLIQUES SOCIAUX ET LE DROIT DU TRAVAIL

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1. Une pensée de « l'incorporation »69 sociale
Elle vient en réponse à la question qui taraude les penseurs du social :
pourquoi et comment des individus regroupés sur un mode hétérogène
parviennent-ils à faire corps dans des ensembles dotés d'une identité propre
et d'une histoire ? Si la réponse paraît acquise en ce qui concerne la famille,
paradigme de l'institution, ou bien l'État, « institution des institutions », elle
demeure en revanche hautement problématique dans le cas de l'entreprise
aussi inexplicable par le seul jeu du contrat qui d'ailleurs « voit décliner son
prestige »70, que par la seule contrainte des besoins. Il s'agit de rendre compte
de l'émergence d'une personnalité objective sans gommer la dimension
de subjectivité attachée aux manifestations de volonté. Ce qui revient à
louvoyer entre les deux écueils monistes du « tout subjectif » individualiste
et du « tout objectif » à la Duguit, dont le tort commun est de céder aux
facilités du causalisme par recherche d'une cause antérieure préexistante
(tel le contrat social, la contrainte, la solidarité, etc.), alors que la réponse
relève du futur antérieur, d'une réalité future et pourtant déjà là : le projet,
l'« idée directrice », l'« idée d'œuvre », bref cet « en avant » qui n'est pas sans
évoquer l'« élan vital » bergsonien71. La vertu coagulatrice de l'institution,
sa capacité à métamorphoser le subjectif en objectivité sociale, viennent
en effet de l'horizon d'un projet partagé comme point de convergence des
actions individuelles. Une perspective qui renouvelle la pensée de l'entreprise, puisqu'elle permet d'expliquer en quoi des salariés bien que n'ayant
eu aucune part au contrat fondateur, se trouvent objectivement embarqués
dans son aventure et donc, de fait, partie prenante de son destin. Ni subjectivisme ni objectivisme ; ni idéalisme ni matérialisme, mais une pensée qui
se fraie un chemin dans leur intervalle : un « idéo-réalisme », dira Gurvitch.

2. Une pensée de la limitation du pouvoir
Ce rapprochement avec la pensée politique n'est pas fortuit, puisqu'en
son fond, la réflexion d'Hauriou est politique au sens où elle se donne pour
objet central le pouvoir et sa limitation. Selon une problématique classique,
celle de la grande tradition libérale, il s'attache à identifier le principe
régulateur capable d'éviter les embardées, les débordements du pouvoir
par maintien dans les limites du raisonnable. C'est toute la question de la
souveraineté qui est ainsi soulevée dans son expression étatique comme
dans ses autres manifestations, en particulier au sein l'entreprise. Il faut se
souvenir qu'à l'époque, les entreprises se pensent sur le mode souverain de
69. hauriou M., Principes de droit public, op. cit., p. 129.
70. Ibid., p. 213.
71. Hauriou en fait mention dans ses Principes de droit public, op. cit., p. 14.

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