Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 212

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LE TEMPS DE LA DOCTRINE

être vraiment original. Avant lui, Comte n'avait-il pas fait de l'ordre dans
le progrès sa devise ?
Son souci est, en fait, de découvrir les conditions de la bonne température
sociale entre l'incandescence destructrice et le refroidissement tétanisant,
entre les emportements de la passion irrationnelle et un excès d'ordre entropique. Le jeu mutuel d'échanges entre l'instituant et l'institué, entre l'idée
d'œuvre et ses manifestations, entre les forces sociales qui composent une
société dans les espaces institutionnels multiples qui la quadrillent, doit
tendre vers l'équilibre entre le trop et le pas assez. Et l'on retrouve ici
les vertus de l'« entre-deux » comme espace de médiation entre les représentations, les intérêts, les points de vue contraires. L'institution puise
sa dynamique, sa capacité de faire histoire et de durer dans ce jeu subtil
auquel il consacre d'abondants développements. Il suffit de parcourir les
Principes du droit public, par exemple, pour mesurer la place tout à fait
centrale réservée à l'idée d'équilibre intra comme inter-institutionnel78,
un équilibre structurellement instable dont la rupture ouvre la voie au
changement. Car s'il faut de « l'ordre et de la stabilité », « un mouvement
lent et uniforme »79 est non moins indispensable à travers le jeu des forces
et des intérêts.
Il va sans dire que de telles vues ouvrent des perspectives extrêmement
stimulantes pour penser l'entreprise en tant qu'espace de confrontation
des logiques d'intérêts tendu vers la réalisation d'un « équilibre des forces
internes »80, des composantes statutairement reconnues dans leurs prérogatives propres. Comme le dira joliment Hauriou, si influent sur les
« semainiers », « il y a institution sous roche ». Et cela se repère à un certain
nombre d'indices convergents : outre la conception de la propriété limitée
par le télos de l'entreprise et la théorie de l'abus de pouvoir qui en découle
sur fond de prise en compte de son unilatéralité81 contre la fiction d'un
contrat prétendument égalitaire désormais analysé en termes de « contrat
d'adhésion » par lequel le salarié accepte de se soumettre au règlement
intérieur avec le bénéfice concomitant du Code du travail et des contrats
collectifs là où ils existent. C'est l'une des raisons pour lesquelles Crétinon
voit dans l'émergence du contrat de travail l'annonce du passage du droit
civil au droit public82. L'institution prend forme dans le droit, mais aussi
dans la pratique.
78. « Le point de vue de l'ordre et de l'équilibre » est le titre du chapitre 1 des Principes
de droit public.
79. Ibid., p. 8.
80. Ibid., p. 132.
81. zamanski J., « Comment réaliser la justice dans le contrat de salariat ? », op. cit., 208.
82. « Les conditions dans lesquelles va s'employer son activité [ouvrier] n'auront donc été
l'objet d'aucun échange de vues entre lui et son employeur ; elles s'imposent à lui d'autorité
et cette unilatéralité est le caractère marquant de ce que, par une fiction juridique, nous
continuons d'appeler un contrat » : « Le point de vue individualiste et le point de vue social

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