Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 25

UNE ÉTAPE DANS LA RÉGLEMENTATION DU TRAVAIL

centres manufacturiers, Lille, Lyon, Rouen, Mulhouse et Amiens, la moitié
des enfants de fileurs, dont la condition est particulièrement dure, meurent
avant d'avoir atteint leur première année11. L'installation de certaines industries se traduit d'ailleurs par une baisse drastique de l'espérance de vie12. Si
le travail ne tue pas, il déforme, abîme ses jeunes ouvriers, en provoquant
torsions, déviations de la taille, affections gastriques, états migraineux
récurrents et scrofules annonciateurs de tuberculose13. À ces conditions de
travail nuisibles, il faut ajouter des habitudes délétères, prises au contact
des ouvriers adultes. Ainsi, le docteur Blachez, l'une des chevilles ouvrières
de la Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, signale l'usage
précoce du tabac chez les enfants des manufactures14. Eugène Tallon, le
rapporteur de la commission parlementaire qui présenta la future loi de
1874, rappelle que ces circonstances se répercutent sur les contingents
militaires, et cet argument est de poids quelques années après la défaite
de la France face à la Prusse : « Pour 10 000 conscrits valides, on compte
dans dix départements agricoles une moyenne de 4 029 réformés seulement,
tandis que, pour le même nombre de conscrits, la proportion des réformés
s'élève, pour dix départements industriels, à 9 930. Cet état de choses ne
doit-il pas être pour nos sentiments patriotiques un objet de légitime préoccupation ? »15. Par ailleurs, après la répression de la Commune, une enquête
diligentée sur les causes de l'insurrection met en évidence le nombre élevés
d'enfants enrôlés dans ce mouvement : 651 arrêtés, dont la plupart sont
des enfants ouvriers livrés à eux-mêmes16.

11. Bodeau C., Du travail des enfants dans les manufactures considéré, op. cit., note 8,
p. 25.
12. « Depuis que la fabrique de la Meusne [pierre à fusil] existe, la durée moyenne de la
vie ne va pas au-delà de dix-neuf ans et deux mois ; elle était avant sa fondation de vingtquatre ans trois mois... Dans la fabrique d'épingles, d'aiguille de montre, dans les ateliers de
polissage d'acier, presque tous les ouvriers succombent à la phtisie pulmonaire », ibid., p. 19.
13. Ibid., p. 19 et 25.
14. BLaChez D., Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie, op. cit., note 9, p. 770.
15. TaLLon E., La vie morale et intellectuelle des ouvriers, op. cit., note 10, p. 127. Voir
également DuPin C., Du travail des enfants qu'emploient les ateliers, op. cit., note 3,
p. XLVI.
16. « On a vu que les enfants de 7 à 14 ans formaient presque un tiers du nombre total.
Comment expliquer une aussi précoce dépravation ? [...] Il faut ajouter que beaucoup
d'enfants avaient été laissés chez leurs patrons par des parents qui avaient abandonné Paris
dès les premiers jours de l'insurrection. Plus tard, les patrons manquant de travail, ou
entraînés eux-mêmes dans le mouvement, avaient renvoyé tout ou partie de leurs ouvriers,
abandonnant ainsi et sans ressources les jeunes gens qui leur avaient été confiés », « Du rôle
des enfants dans l'insurrection. Rapport du capitaine Guichard », in Enquête parlementaire
sur l'insurrection du 18 mars 1871. Édition contenant in extenso les trois volumes distribués
à l'Assemblée nationale, 1872, Libraire générale, p. 549-550.

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