Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 53

DE LA DIFFICULTÉ DE CONCILIER LE CAPITAL ET LE TRAVAIL 49

laquelle enjoint au législateur de préserver le « domaine de l'industrie
privée » d'une telle intervention54.
La troisième attitude, enfin, revient à asséner les mêmes critiques
qui avaient été formulées à l'encontre du projet lorsqu'il était en débat
devant les assemblées. Derouvroy, Lyon-Caen et Renault continuent par
exemple de penser que l'inaliénabilité des actions de travail est contraire
« au caractère des actions »55, cette contrariété empêchant toute justification « en théorie »56. Pire, ils refusent à la coopérative de main-d'œuvre
la qualité même de société57 et ne lui reconnaissent pas davantage celle
d'associé58. Ripert, quant à lui, s'offusque de ce que le législateur ait créé
une société dans laquelle « des administrateurs non responsables » puissent
« faire la majorité en cas de division »59. En dénonçant l'incompatibilité de
la réforme Chéron avec le droit existant, la doctrine a donc mis l'accent
sur les points qui risquent de compromettre son succès, dès la première
moitié du xxe siècle. Peut-être a-t-elle aussi contribué à son désintérêt en
la faisant disparaître progressivement de ses ouvrages60.
n'aurait pas résolu le « véritable problème des rapports du capital et du travail ». Pour que la
réforme ne reste pas « lettre morte », il est nécessaire selon elle que la loi impose une « obligation générale » faite à toutes les entreprises industrielles et commerciales, y compris les
entreprises artisanales, de créer une association disposant de la personnalité civile à laquelle
serait affectée une partie des bénéfices réalisés qui doivent être ensuite répartis équitablement
entre le capital et le travail. Un nombre variable de représentants du travail devaient en
outre être élus ou désignés parmi les membres de cette association afin qu'ils participent à la
gestion de l'entreprise. La commission n'a pas cependant retenu cette proposition, « comme
base de travail », car elle lui est apparue « trop rigide du fait qu'elle rendait obligatoire la
participation aux bénéfices et à la gestion de toutes les sociétés anonymes » (« Proposition
de loi portant réforme du statut des entreprises présentée par Mme Saunier, conseiller de
la République », Travaux de la commission de réforme du Code de commerce et du droit
des sociétés, R. Pichon & R. Durand-Auzias, années 1948-1949, vol. 1, p. 440-449 et 466).
54. PiC P., Traité général théorique et pratique de droit commercial, op. cit., p. 599.
55. Lyon-Caen C. et renauLt L., Traité de droit commercial, LGDJ, 1929, 5e éd., t. 2,
p. 823.
56. derouvroy P., La société anonyme à participation ouvrière, Sirey, 1926, p. 129.
57. La SAPO se présente selon eux, « dans la forme que lui donne la loi, bien plutôt comme
un organisme corporatif de nature particulière groupant obligatoirement tous les salariés
remplissant les conditions requises que comme une véritable société » (Lyon-Caen C. et
renauLt L., Traité [...], op. cit., p. 824).
58. Ibid., p. 826.
59. riPert G., Traité élémentaire de droit commercial, LGDJ, 1948, p. 543.
60. On ne trouve par exemple aucun développement sur la SAPO dans les ouvrages
suivants : Le Cannu P. et dondero b., Droit des sociétés, LGDJ, 2015, 6e éd. ; didier P.
et didier P., Droit commercial. Les sociétés commerciales, Economica, 2011, t. 2 ; vidaL D.,
Droit des sociétés, LGDJ, 2010, 7e éd. ; gibiriLa d., Droit des sociétés, Ellipses, 2012, 4e
éd. M. Cozian consacre en revanche trois lignes aux actions de travail mais ne dit rien
de la SAPO (Cozian m., viandier a. et deboissy F., Droit des sociétés, LexisNexis,
2014, 27e éd., p. 513). Inversement, Philippe Merle explique en trois lignes la SAPO mais
n'évoque pas l'actionnariat ouvrier lorsqu'il s'intéresse à la participation des salariés au

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