Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 55

DE LA DIFFICULTÉ DE CONCILIER LE CAPITAL ET LE TRAVAIL 51

en discussion66. Entre autres réticences, le système consacré par la loi de
1917 serait à la fois trop complexe et trop rigide67. Il aurait « l'inconvénient grave » de se composer de règles auxquelles les intéressés ne peuvent
déroger68. Cet échec témoigne surtout, selon Deloncle, de l'« égoïsme »
des patrons qui « entendent garder tout le profit »69. Moins radical, Jean
Escarra, après avoir remarqué l'absence de décisions notables sur les SAPO
dans les recueils de jurisprudence, fait valoir que les fondateurs de société
anonyme n'étaient sans doute pas prêt à modifier leur mode de « gouvernance », même en échange d'exonérations fiscales. Ce système a perdu,
avec la création en 1945 du comité d'entreprise, au surplus de son intérêt70.
Quant aux salariés, ils ignoreraient pour la plupart l'existence de ce dispositif législatif. Ceux qui le connaissent ne souhaiteraient pas y adhérer, de
peur « d'aliéner leur liberté »71. L'actionnariat ouvrier serait aussi redouté
des syndicats qui verraient en lui un moyen d'atteindre à « leur cohésion » et
de diminuer « leur force »72. La dimension collective des actions de travail,
qui s'est imposée au détriment d'une attribution individuelle, expliquerait
enfin cet échec73.
Quelles que soient les raisons avancées, Pic avait donc vu juste lorsqu'il
annonçait, au lendemain de sa promulgation, que la loi de 1917 ne rencontrerait pas le succès escompté. Peu utilisée dans la première moitié du
xx e siècle, elle semble aujourd'hui totalement ignorée, même après
les modifications qui lui ont été apportées par la loi de 2008. Sur trois
millions de sociétés enregistrées, aucune n'aurait pris cette forme sociale
au 30 septembre 2009, d'après l'INPI74. Un phénomène de conversion,
identique à celui décrit par Lyon-Caen et Renault, a par ailleurs touché,
ces vingt dernières années, de grandes entreprises, comme Air France75
66. deLonCLe C., « Rapport [...] », op. cit., p. 124.
67. riPert g., Traité [...], op. cit., p. 542.
68. Lyon-Caen C. et renauLt L., Manuel [...], op. cit., p. 363.
69. deLonCLe C., Capital et travail [...], op. cit., p. 159.
70. esCarra J., Manuel [...], op. cit., p. 540.
71. breton e., Les actions [...], op. cit., p. 133.
72. deLonCLe C., « Rapport [...] », op. cit., p. 122.
73. esCarra C., Manuel [...], op. cit., p. 540 ; moLiéraC J., « L'association capital-travail »,
Revue des sociétés, juillet-août-septembre 1951, p. 239.
74. La France comptait à cette date 50,88 % de SARL, 39,45 % de société civile, 3,97 %
de SAS, 3,24 % de SA, 1,90 % de SNC, 0,48 % de GIE et GEIE et 0,07 % de société en
commandite (Cozian m, Viandier a. et Deboissy F., Droit [...], op. cit., p. 3).
75. L'abandon du statut de SAPO a eu lieu le 25 janvier 1995. Les ayants droit de la société
coopérative de main-d'œuvre ont bénéficié, à titre d'indemnisation, de 2,3 millions d'actions
(« Rapport fait au nom de la commission de la production et des échanges sur le projet de
loi (n° 2067), relatif à l'élargissement du conseil d'administration de la société Air France
et aux relations de cette société avec l'État, et portant modification du Code de l'aviation
civile, par M. A. Capet (député) », Assemblée nationale, 9 févr. 2000, n° 2159, p. 8).
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