Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 64

LE TEMPS DE LA LOI

B. L'introduction de l'arbitrage obligatoire
dans les conflits collectifs du travail : premier bilan
Force est de constater que depuis la fin du xixe siècle, la thématique de
l'arbitrage dans ses différentes modalités est débattue, surtout au sein du
monde politique et parlementaire. Les juristes sont dans l'ensemble réticents.
Quant aux organisations patronales et ouvrières, on peut dire qu'elles y sont
carrément hostiles. Dans un excellent article, Georges Lefranc a montré que
la CGT n'a changé ses positions qu'à partir du mois de septembre 1936,
comme l'indique un article de Léon Jouhaux publié dans le Peuple du
18 septembre. Différents motifs ont poussé au changement de tactique :
d'abord, la crainte qu'éprouvent les dirigeants de la CGT de voir la combativité ouvrière s'émousser dans une infinité de batailles partielles, sans aucune
utilité pour le mouvement dans son ensemble. Par ailleurs, si le nombre des
nouveaux syndiqués a fortement progressé, les adhérents le plus récemment
inscrits n'ont pas de l'organisation syndicale une idée très nette. Ils ne sont
pas préparés aux sacrifices qu'implique souvent l'action syndicale. Ils se
figurent assez naïvement qu'il suffirait de recourir à la grève pour que satisfaction leur soit donnée en quelques jours. Un tel optimisme risque d'être
rapidement déçu et il est à craindre qu'une lassitude ne vienne démobiliser
ou décourager une partie des ouvriers syndiqués. D'où l'idée « d'économiser
la force ouvrière ». Enfin, les circonstances poussent à institutionnaliser une
situation de fait11. Désormais, l'intervention de l'État n'a plus rien d'exceptionnel, elle est juridiquement encadrée. Pour le dire d'une autre manière,
le syndicalisme ouvrier ne croit plus que, dans les régimes parlementaires,
l'État représente, toujours et partout, l'instrument du capitalisme.
Les organisations patronales qui sont tout aussi hostiles au système
d'arbitrage n'ont pas évolué sur ce point. Elles considèrent toujours les
sentences arbitrales comme des intrusions inadmissibles de tiers irresponsables dans la direction de l'entreprise12.
Si la procédure d'arbitrage est finalement acceptée, non sans réticence
de la part du patronat, c'est parce qu'il est imposé par les circonstances.
Comme l'a bien montré Pierre Laroque, l'arbitrage obligatoire ne peut
être envisagé isolément. C'est un élément dans la gamme des différentes
manifestations de l'action collective ouvrière ; c'est un outil qui ne peut
être utilisé qu'à certaines conditions. La CGT, à partir de la fin de l'année
11. Dès 1938, Georges Lefranc a livré une très bonne analyse de l'évolution des positions de
la CGT sur l'arbitrage obligatoire dans un article auquel nous nous permettons de renvoyer
le lecteur : LeFranC g., « La CGT et l'arbitrage », Esprit, n° 70, juillet 1938, p. 526-534.
12. Perroux F., « Notes sur l'emploi de textes à tout faire », Esprit, juillet 1938, p. 536-541.
Paul Pic se montre également très sceptique (voir articles cités). Les débats devant la
Chambre des députés et le Sénat sont de bons révélateurs.

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