Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels - 65

UNE RÉFORME ORIGINALE

1936, développe la voie de l'arbitrage parce que l'existence d'un gouvernement favorable à la classe ouvrière permettrait aussi d'espérer qu'une
telle procédure ne serait pas défavorable et qu'elle opérerait dans le sens
du maintien des conquêtes sociales13.
Par ailleurs, le législateur laisse une grande liberté aux deux parties dans
la désignation des arbitres. Ce n'est qu'en cas de partage d'opinions des
arbitres et à défaut pour les parties de s'entendre pour désigner un tiers
arbitre que le gouvernement intervient. Ainsi, la création d'une juridiction
arbitrale à deux degrés dans laquelle apparaît un « surarbitre » est une des
originalités les plus marquantes de la nouvelle législation du travail. Il
convient donc de souligner les différences qui apparaissent et qui caractérisent les procédures habituelles ou classiques de l'arbitrage, tel qu'il
apparaît dans le Code de procédure civile ou dans les relations commerciales internationales d'une part, et le régime de l'arbitrage prévu pour le
règlement des conflits collectifs de travail, d'autre part. Ces différentes
difficultés permettent selon nous de mieux comprendre les problèmes
rencontrés par les arbitres et les surarbitres dans cette phase de rodage.
Malgré l'identité de leur caractère juridictionnel, l'arbitrage en matière
de conflits collectifs du travail se distingue nettement de l'arbitrage prévu
par le Code de procédure civile. Dans un conflit collectif du travail, le rôle
de l'arbitre (ou du surarbitre) est sensiblement différent de celui d'un juge.
Dans notre droit interne, mais aussi dans le droit du commerce international,
l'arbitre, le plus souvent, est un juge qui doit statuer en droit14, c'est-àdire apprécier la validité d'une situation juridique sur la base du droit en
vigueur. Comme tout autre juge, il doit statuer, même en cas de silence ou
d'obscurité de la loi, mais il ne peut statuer contra legem. Comme le juge,
l'arbitre applique des règles de droit, écrites ou non écrites, il interprète des
textes, il s'appuie sur un ensemble de règles acquises qu'il confronte avec
les faits. Mais l'arbitre qui, aux termes de la loi du 31 décembre 1936 et du
décret du 16 janvier 1937, statue sur les conflits collectifs du travail, est
plus qu'un juge. Le législateur lui demande de fixer les règles sur lesquelles
doivent être fondés les rapports entre employeurs ou salariés ou de modifier
ces règles, soit qu'il ait à déterminer le contenu d'une convention collective
sur les points où les parties n'ont pu s'entendre, soit qu'il ait à modifier
des taux de salaires15. Dans l'accomplissement d'une telle mission, l'arbitre
13. Laroque P., « Les chances de l'arbitrage obligatoire », Dr. soc., 1955, p. 468-475.
14. Le Code de procédure civile et le droit du commerce international prévoient aussi
l'amiable composition qui permet aux arbitres de statuer en équité. Mais cela n'est possible
qu'avec l'accord des parties.
15. Nombreux exemples de sentences arbitrales (ou surarbitrales) ont été publiés par la
revue Droit social dans ses numéros de 1938 et 1939. Dans un jugement du 29 décembre 1937,
le tribunal civil de la Seine, affaire Wagnair contre Mojard, a très clairement précisé les

Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels

Table des matières de la publication Contextes - La réception du droit du travail par les milieux professionnels et intellectuels