Contextes - Pratique(s) et enseignement du droit - 21

AVANt-PROPOS

droit ?), alors même que le secret est si bien gardé ? Ne devons-nous pas
plutôt convenir que ce secret est à jamais inaccessible pour la bonne est
simple raison que la vérité du droit n'existe pas, ce qui est une manière de
dire qu'elle est dans la pratique ou dans l'action ?
Cette opinion - qui se trouve en arrière-plan du colloque dont on va
lire les actes - a le mérite de dissiper un malentendu et de rendre compte
de certains mots dont se servent parfois les juristes, enseignants ou non,
pour traduire leur embarras. Ce malentendu et cet embarras tiennent au fait
que ces questions insolubles, ces recherches de définitions ne présentent
apparemment aucun intérêt du point de vue pratique : le fait qu'elles
demeurent en suspens ne nuit en rien à l'efficacité de la machine droit et à
la « productivité » de ceux qui en font leur métier. Hart a souligné ce point
mieux que quiconque : « Personne n'a jamais estimé éclairant ou important
de dire que la médecine est ce que les médecins font concernant les malades",
ni d'affirmer que ce qu'on admet habituellement comme consistant une
partie centrale de la chimie [...] ne fait en réalité pas du tout partie de la
chimie »7.
Mais si la pratique peut entretenir l'illusion de son autosuffisance comme
pratique, et du coup marginaliser ceux qui entendent répondre à certaines
questions « sans réponse », c'est aussi elle, considérée comme une ressource,
qui fournit des éléments de réponse à certaines questions difficiles, pour
peu que nous les posions sans nous décourager. Cette démarche peut être
appelée pragmatique au sens que Bergson donne de ce terme dans la belle
introduction qu'il a consacrée à la traduction française du Pragmatisme de
William James : « tandis que pour les autres doctrines, une vérité nouvelle
est une découverte, pour le pragmatisme, c'est une invention »8. Puis, nous
lisons ceci : « [t]oute vérité est une route tracée à travers la réalité ; mais,
parmi ces routes il en est auxquelles nous aurions pu donner une direction
très différente, si notre attention s'était orientée dans un sens différent ou
si nous avions visé un autre genre d'utilité ; il en est, au contraire, dont la
direction est marquée par la réalité même : il en est qui correspondent, si
l'on peut dire, à des courants de réalité »9. On comprend que des juristes,
les juristes américains en particulier, aient pu être séduits par ce type
d'approche si conforme à la structure de leur droit, si fidèle à leur travail
quotidien de juristes. Beaucoup de grands théoriciens du droit américains
étaient, sont des juges. C'est par exemple ce que suggérait en son temps
Roscoe Pound, inspirateur du courant réaliste, avec la fameuse distinction
7. H.L.A. Hart, Le concept de droit, 2e éd. augmentée, trad. de M. Van de Kerchove,
Bruxelles, Facultés universitaires Saint-Louis, p. 19.
8. W. James, Pragmatisme, Paris, Flammarion, 1911, p. 11 (où Bergson se hâte de préciser
que ce mot - invention - ne se trouve pas chez l'auteur qu'il commente).
9. Ibidem, p. 13-14.

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