Contextes - Pratique(s) et enseignement du droit - 354

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FRONtIèReS et LIMIteS De L'eNSeIGNeMeNt Du DROIt

L'une des fonctions du juriste est de qualifier juridiquement des situations de fait, mais aussi d'anticiper et d'imaginer des situations futures. Cela
ne peut se faire que par une compréhension pleine et entière du contexte
économique, social et politique des choix effectués et des conséquences qui
en découlent. Cela veut dire aussi qu'il faut que les étudiants puissent, après
la phase d'apprentissage des règles de droit et de leur agencement, prendre
une distance par rapport à ce que l'on peut appeler la vision procédurale
ou technicienne de la règle de droit. Certes, les études de droit doivent être
orientées vers le marché du travail, mais ce monde du travail va continuer
à évoluer de façon accélérée.
La vitesse à laquelle circule l'information, sa disponibilité quasi immédiate
ne recèlent-elles pas, si l'on n'y prend pas garde, un terrible danger : celui
de la préfabrication des réponses, des solutions, des contenus. Nous
chargeons un peu le trait pour donner une idée de ce que, paraphrasant un
titre célèbre, nous suggérons d'appeler un catastrophisme peu éclairé12. Il est
peu éclairé en différents sens : par les effets produits et par la conception du
savoir qu'il engendre. Les effets produits sont observables à l'œil nu dans
certains comportements et dans le recours à certaines technologies dont il
sera question plus tard. Soulignons quand même le parallélisme étrange,
inquiétant, entre la massification de la connaissance, les effets de mode que
cela engendre et la forme inédite que revêt aujourd'hui le « pouvoir immense
et tutélaire », « prévoyant et doux »13 de... l'ordinateur sur ses différentes
catégories d'utilisateurs qu'il fait voyager dans tous les coins du monde.
Il en résulte une forme de savoir qui est d'autant plus inquiétante qu'elle
engendre, au rebours des craintes habituellement formulées, une déconnexion complète ou presque complète avec le réel, les faits, les rapports
de forces et de domination. Ce pouvoir docile (croit-on) nous procure
une maîtrise apparente et parfaitement imaginaire sur un monde que nous
ne connaissons plus que de loin, et dont les ressorts, pour ce qu'ils ont
d'essentiel, nous échappent. Nous sommes devenus ignorants et ignorants
de cette ignorance, donc impotents.
Alain Berthoz, neurophysiologiste, évoque ainsi dans ses recherches
récentes les changements des fonctions cognitives du cerveau humain
favorisées par l'utilisation des nouvelles technologies numériques. Dans
ce contexte en pleine mutation, les conséquences directes ou indirectes des
nouveaux usages et modes de vie sont encore difficilement perceptibles.
Néanmoins, il est aujourd'hui possible d'en discerner les grandes lignes :
12. J.-P. Dupuy, Pour un catastrophisme éclairé. Quand l'impossible est certain, Paris,
Points/essai, 2004
13. A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, cité par M. Delmas-Marty,
Aux quatre vents du monde. Petit guide de navigation sur l'océan de la mondialisation,
Seuil, 2016, p. 64.

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