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LES DROITS

cette captation du pouvoir du peuple par les juges, mais on la cautionne3.
Plus même, on la présente comme étant normale, et inévitable et donc on
renforce en fait sa légitimité4. En réalité, on confond alors largement la
validité et l'effectivité de la norme5.
Dans une optique délibérément idéaliste, selon laquelle la raison d'être
du droit constitutionnel dans une démocratie est d'assurer dans toute la
mesure du possible le gouvernement du Peuple par le Peuple et pour le
Peuple, on estimera ici que le juge ne crée pas la norme constitutionnelle
mais qu'il l'interprète et qu'il l'applique ou pour le moins qu'il devrait
l'appliquer. Pour l'appliquer, il dispose d'une marge d'interprétation,
comme tous les juges dans tous les temps et dans tous les domaines6. Mais
il n'est pas constituant, pas plus que la Cour de cassation (ou la juridiction
de Trifouilli-les-oies) n'est législateur quand elle interprète la loi. Le juge
propose et impose une interprétation de la norme avant de l'appliquer, il ne
crée pas la norme qu'il interprète. Il crée une interprétation possible de la
norme parmi d'autres, il ne crée pas la norme qu'il doit appliquer elle-même,
il crée seulement un acte d'application de cette norme. Cette interprétation
peut être conforme à la norme que le juge doit appliquer, ou non. Elle
peut s'écarter plus ou moins largement du texte de référence sur tel ou tel
point, jusqu'à le violer clairement7. Le juge, tout comme les individus
ou les gouvernants, peut respecter plus ou moins fidèlement les normes
qu'il a pour mission d'appliquer et de faire respecter, et il est fort possible
qu'il les viole8. Dans la conception qui est proposée ici, la doctrine peut
et doit donc non pas donner sa bénédiction à toutes les décisions des juges
en les regardant comme étant le seul droit valable, mais vérifier si et dans
3. Sur la notion de captation de pouvoir, cf. L. Sponchiado, Le pouvoir de nomination
du Président de la République, thèse, Paris 1, 2015.
4. Cf. M.-A. Cohendet, « Légitimité, effectivité, validité », in Mél. P. Avril,
Montchrestien, 2001, pp. 201-234.
5. Ibid. Sur l'effectivité cf. J. Bétaille, « Les conditions juridiques de l'effectivité de la
norme en droit public interne ; illustrations en droit de l'urbanisme et en droit de l'environnement », thèse, Limoges, 2012.
6. Cette marge d'interprétation varie selon divers facteurs, notamment le caractère plus
ou moins difficilement révisable de la norme et/ou son ancienneté. Ainsi, la Cour suprême
des États-Unis, qui applique une constitution plus que bicentenaire très difficile à réviser
dispose d'une marge d'interprétation particulièrement étendue.
7. Ce fut par exemple le cas lorsque, dans sa décision 86-225 DC, le Conseil constitutionnel avait négligé de sanctionner la violation de l'obligation du vote personnel au Parlement
comme si la Constitution n'imposait pas le vote obligatoire, alors que l'article 27 de la
Constitution dispose « Le droit de vote des membres du Parlement est personnel » (et l'on sait
que l'indicatif en droit français vaut en principe impératif). Fort heureusement, il est revenu
sur cette jurisprudence pour imposer ensuite le respect de cette norme constitutionnelle.
8. Sur la notion de violation de la Constitution, par les gouvernants ou par les juges,
cf. M.-A. Cohendet, L'épreuve de la Cohabitation, thèse, Lyon, 1991 ; La Cohabitation,
leçons d'une expérience, PUF 1993 et Droit constitutionnel, LGDJ, coll. Cours, 2e éd. 2015.
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