Grands colloques - Droit public et droit privé de l'environnement : unité dans la diversité ? - 21

OSER LA PENSÉE COMPLEXE ; L'EXEMPLE DES « COMMUNS »

Dans le même sens, A. Chaigneau, avisée du fait de la difficulté de réaliser
une véritable collectivisation des ressources24, se propose d'explorer la voie
qui « consiste à imaginer des limitations nouvelles au droit du propriétaire,
autre que celle de l'ordre public, pour dissocier par exemple différentes
utilités du bien et les répartir entre différents bénéficiaires reconnus comme
des titulaires à part entière »23.
Cette perspective se justifie également par deux autres considérations.
D'une part, on peut faire remarquer que les qualités d'une chose ne sont
pas nécessairement réductibles à celles dont le propriétaire entend tirer
avantage : ainsi un immeuble « peut servir à la fois d'habitation, d'activité
économique, d'écosystème, de lieu d'usages permanents ou ponctuels et
de patrimoine culturel et historique à une collectivité » 24. Par ailleurs, il est
de bon sens d'observer qu'on raisonne très rarement tabula rasa, de sorte
que les biens dont on se préoccupe sont très généralement déjà appropriés
par des personnes privées ou déjà affectés à l'utilité publique. Dans ces cas,
les mécanismes de transpropriation s'avèrent à la fois bien plus réalistes, et
aussi plus responsabilisant que les procédures d'expropriation, ou en cas de
domanialité publique, le rappel incantatoire des responsabilités de l'État.
En l'état du droit positif français actuel, deux exemples peuvent être
évoqués25.
Le premier concerne le régime des monuments historiques reconnus
comme présentant un intérêt collectif (historique, culturel, artistique,
archéologique) et, selon la loi du 31 décembre 1913, gérés au profit de la
collectivité afin de préserver cette finalité. Ainsi les immeubles « classés »
monuments historiques, ainsi que les mobiliers qui les garnissent seront
gérés dans l'intérêt de la collectivité nationale, bien qu'ils soient (comme
c'est le cas pour la moitié des monuments historiques français) sous
propriété privée. En raison de ce statut, le droit de propriété se voit limité,
ou plutôt finalisé et responsabilisé ; dès lors que le bien est désormais saisi
comme une composante du patrimoine culturel national, le propriétaire
ne pourra ni détruire, ni déplacer, ni exporter celui-ci ; les modifications
qu'il voudrait lui apporter sont désormais soumises à autorisation ; en
commun de l'humanité » à propos desquelles il est toujours très malaisé d'identifier le titulaire réel, et encore plus d'organiser la représentation et une gestion désintéressée en son
nom - institutions qui « peinent à trouver leurs acteurs ». (« Quel modèle pour construire
des "communs" ? », loc. cit., p. 117).
23. A. Chaigneau, « Des droits individuels sur des biens d'intérêt collectif, à la recherche
du commun », in RID éco. 2014/3 - t. XXVIII, p. 336.
24. Ibidem, p. 336.
25. En ce sens, J. Rochfeld, « Penser autrement la propriété : la propriété s'oppose-t-elle
aux "communs" ? », in RID éco. 2014/3 - t. XXVIII, p. 366 s. ; ID ; « Quel modèle pour
construire des "communs" ? », in Repenser les biens communs ; sous la dir. de B. Parnce et
J. de Saint Victor, CNRS Éditions, 2014, p. 124 s.

Grands colloques - Droit public et droit privé de l'environnement : unité dans la diversité ?

Table des matières de la publication Grands colloques - Droit public et droit privé de l'environnement : unité dans la diversité ?