Manuel - Grands systèmes de droit contemporains - 4e - 118

GRANDS SYSTÈMES DE DROIT CONTEMPORAINS

§3. Universitaires
208. Influence limitée. - Les universitaires anglais n'ont jamais eu
une influence importante sur le développement du droit. Traditionnellement, il était en effet interdit de citer leurs travaux dans un contexte judiciaire de leur vivant. Officiellement, on faisait valoir qu'ils étaient susceptibles de changer d'avis, et qu'il n'aurait dès lors pas été approprié de
prendre en considération leur opinion dans le but de poser une règle
jurisprudentielle qui n'était, elle, pas susceptible d'évolution. C'est la raison pour laquelle il n'était traditionnellement admis que de citer une poignée de grands juristes anglais (Bracton, Coke, Blackstone, etc.), dont les
écrits sont vieux de plusieurs siècles. En réalité, la raison pour laquelle les
universitaires anglais n'étaient pas cités était le peu d'estime que leur portaient et leur portent toujours largement les praticiens en général et les
juges en particulier120. En 1982, une étude consacrée aux juges de la
Chambre des Lords révéla que la quasi-totalité d'entre eux ne lisaient
jamais de travaux d'universitaires121. Depuis quelques décennies, la doctrine anglaise est citée avec une certaine fréquence dans les décisions de
justice, et des juges confessent lire les écrits de certains professeurs, mais
la différence entre les traditions de Common law et de Civil law reste très
importante à cet égard.
209. Explication : formation des juristes. - Les juges ne se référent
guère aux universitaires car ils n'en ont pas l'habitude. Il importe en effet
de souligner que la profession de juriste n'implique aucunement de fréquenter une faculté de droit. Longtemps, l'étude du droit anglais n'était
d'ailleurs pas proposée aux étudiants anglais : c'est seulement à partir de
1753 que le droit anglais fut enseigné à Oxford. Avant cette date, seul le
droit romain l'était, mais il n'avait aucun rapport avec le droit positif (le
Common law). En conséquence, les juristes anglais étudiaient les lettres
ou les mathématiques à l'université. Leur formation juridique serait assurée ultérieurement par des écoles professionnelles. Les plus grands juges
de l'histoire anglaise n'avaient donc pas étudié le droit à l'université, et
encore aujourd'hui, il est possible de devenir barrister ou solicitor en
ayant étudié le latin ou les langues étrangères à Oxford ou à Cambridge.
Plus généralement, le droit n'a jamais été réellement considéré comme
une matière scientifique digne d'un enseignement universitaire. Ainsi
qu'il a été vu122, le droit anglais est une technique rebelle à la systématisation, que l'on apprendra donc mieux de praticiens que de théoriciens.
Ainsi, en 1966, l'un des plus grands juges anglais de l'histoire, lord
Diplock, pouvait-il dire dans le cadre d'un discours à l'association des
enseignants en droit (!) qu'il n'était toujours pas certain que la matière
soit appropriée pour un enseignement universitaire. Aujourd'hui, nombre d'étudiants étudient le droit à l'université, mais l'idée selon laquelle
120. V. M. ZANDER, op. cit., p. 427 et s.
121. A. PATERSON, The Law Lords, University of Toronto Press, 1982.
122. Supra, nº 192.

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