Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 108

LETTRES DE FRANÇOIS GÉNY À RAYMOND SALEILLES

54 [Paris]
Dijon, 23 Mars 1896
Mon bien cher ami,
Nous sommes déjà bien loin ici de ces préoccupations sur les réformes
prochaines, qui vous tiennent encore à Paris6. Je ne sais pourquoi notre doyen
s'est cru si pressé de nous faire prendre une décision sur cette question de l'agrégation, que je vois que l'on a étudiée ailleurs, à loisir et à tête reposée, comme elle
le méritait. Ici nous avons dû nous décider très vite. Et vous savez qu'une minorité,
faible d'ailleurs, il faut en convenir, avait proposé un système de bifurcation, assez
voisin dans son idée essentielle, de ce nous voyons accepté d'autres côtés. Mais,
pour avoir émis quelques pensées en ce sens, nous nous sommes vus si vertement
rabroués par nos collègues de poids et d'autorité, dont le siège a [mots illisibles]
de suite, que la discussion a tourné court, et qu'à dire vrai, la question capitale de
cette réforme n'a pu être sérieusement agitée parmi nous7. Tout cela remonte à
l'été dernier : et le souvenir m'en apparaît si lointain déjà, que je croyais presque,
à lire votre lettre, qu'il s'agissait d'un projet de réforme encore plus nouveau - Ce
qui me paraît, en tout cas, lamentable, surtout pour les intéressés actuels, c'est
que cette réforme se trouve reportée à une époque indéterminée, par suite de la
réorganisation du Conseil supérieur, qui n'ira pas toute seule assurément 8. - Si,
comme c'est probable, on doit aboutir à une spécialisation sérieuse, se traduisant
dans les épreuves du concours, la préparation de celui-ci ne peut plus se contenter
des exercices artificiels, et, en partie déjà, démodés, que nous sommes encore
obligés de maintenir, à titre provisoire, tant qu'on ne nous a pas ouvert une voie
bien tracée par l'indication d'un but déterminé. - Combien de temps va durer ce
provisoire ? Il nous serait fort utile de le savoir, à nous surtout, qui, ayant peu de
candidats sérieux, pour le doctorat, en dehors de ceux qui songent, de plus ou

6. Lors de l'assemblée de la faculté de Paris du 13 février 1896 à laquelle assistait Saleilles, la question
débattue fut celle du sectionnement du concours d'agrégation. En raison de la réforme du doctorat,
Esmein soutenait le principe de la division de l'agrégation en sections (AN. AJ16 1796, p. 135-136). La
réforme de l'agrégation fut à nouveau débattue lors de la séance du 19 mars 1896, pendant laquelle la
faculté de Paris se prononça en faveur du principe d'une division en deux sections (Ibid., p. 141-142).
Voir également la lettre du 3 juin 1895.
7. En ce début d'année 1896, la question ne fut pas abordée au conseil de la faculté de Dijon
(AD. Côte-d'Or, SM18418 et SM18419).
8. Crée par la loi Falloux de 1850, le Conseil supérieur de l'Instruction publique avait un rôle consultatif pour les questions relevant de l'enseignement, des écoles publiques ou des droits des enseignants.
À leur égard, il constituait également une instance d'appel pour les décisions rendues par les conseils
académiques en matière disciplinaire ou contentieuse. Modifié en 1880 par Jules Ferry, ce Conseil
supérieur était en voie d'être réformé de nouveau par le projet de loi de Combes que Gény mentionnait
dans cette lettre. Ce projet modifiait non seulement les attributions du Conseil, mais aussi son mode
de recrutement. Le but était d'introduire des membres étrangers à l'enseignement dans le Conseil,
à savoir deux députés et deux sénateurs, un conseiller d'État et un membre de la Cour de cassation,
ainsi que deux représentants de chacun des Conseils supérieurs de l'agriculture, du commerce et des
beaux-arts. Selon le projet, le Conseil supérieur aurait eu des attributions élargies et aurait été divisé
en une section administrative et une section disciplinaire et contentieuse.

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