Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 13

L'œuvre doctrinaLe à faire

considère qu'elle fait pleinement partie) et ne doit pas être abandonnée aux économistes. Gény l'écrit très clairement en 1902 à un moment où il hésite sur la direction
que doivent prendre ses investigations : « Le seul point vers lequel je sente l'utilité
vraie d'un effort, ce serait la mise en œuvre effective de l'étude minutieuse des faits,
des doctrines, des pratiques pour arriver à des résultats aussi objectifs que possible.
Mais cela a déjà été dit : et il s'agit seulement de les réaliser. Ce qui exige, ce me
semble beaucoup de temps, de patience, et la renonciation à toutes ces besognes
éphémères qui rongent la vie sans la féconder ».
Pour tenter d'accomplir son œuvre, Gény a donc mis en place toute une
économie destinée à dégager suffisamment de temps pour la méditation et la
recherche sur le seul sujet qui lui tient à cœur : les questions de méthode et leur
rénovation complète, qui incluent l'enseignement. Au point même de refuser au
moins à deux reprises la proposition que lui fait Saleilles de poser sa candidature à
Paris. La seconde fois après le décès prématuré de Léon Michel en 1901. Pourtant
la tentation est grande, ne serait-ce que parce que Gény a peur d'échouer dans
son projet et qu'il sait que la fréquentation de ses collègues parisiens pourrait être
stimulante. Au moment d'envoyer en 1904 à Saleilles son article sur la technique
législative dans la codification civile moderne, que son correspondant fera paraître
dans le livre du Centenaire du code civil, il lui écrit directement et sans illusion :
« Je me sens décidément impuissant à renouveler mes idées sur le sujet avant peu ».
Malgré les dispositions qu'il a prises, Gény ne progresse plus. Deux événements
lui éviteront le naufrage.
Le premier intervient en novembre 1910. Puisque Gény estime ne pas avoir
renouvelé ses idées depuis à peu près dix ans, il tentera de les mettre en application
« sur un sujet étranger aux grandes théories du droit ». Aussi profite-t-il d'un sujet
sur les lettres missives mis au concours par l'Académie des sciences morales et
politiques pour lui adresser un mémoire. Comme d'habitude, il s'est laissé débordé
et son travail est nettement plus volumineux que celui de ses concurrents : 771 pages
dont 115 sur la seule intervention de l'Administration des Postes. Et c'est l'humiliation : Gény n'obtient aucun prix ! Avec précaution, il demande alors à Saleilles
s'il lui serait possible de solliciter des éclaircissements du rapporteur, en l'occurrence leur collègue Louis Renault. Avant tout pour tirer la leçon de l'incident et
dégager « ce qui peut rester de mon effort pour la poursuite de travaux ultérieurs,
si je puis en maintenir le projet ». À cet instant, Gény est profondément désorienté.
Prêt à l'abandon. Mais la réponse de Saleilles ne tarde pas. Gény comprend qu'on
lui a d'abord reproché une absence de talent littéraire qui a découragé le lecteur
et lui a en définitive valu un « examen étrangement superficiel ou simplifié » de
son mémoire. Ce constat ne peut qu'irriter profondément Gény qui, même s'il
connaît son défaut de style, relève amèrement que son « erreur a été de croire
qu'on pouvait suppléer à cette infirmité par des efforts d'un autre ordre ». Et il en
tire immédiatement la conséquence, exactement à l'inverse de ce qu'il imaginait
quelques jours auparavant : « Je ne veux plus envisager que l'avenir. Et l'avenir pour
moi, dans cette malheureuse aventure, ne peut être que la publication du travail ».
Piqué au vif, soupçonneux à l'égard d'un milieu parisien qu'il taxe volontiers de
superficialité, Gény a vaincu son apathie et se retrouve relancé dans ses ambitions !
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