Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 134

LETTRES DE FRANÇOIS GÉNY À RAYMOND SALEILLES

droit coutumier ? Je ne le crois pas, pour ma part, et je dirai même que je n'en vois
pas bien le moyen12. Mais il suffit de constater que le droit écrit est insuffisant.
Cela seul nous autorise à élaborer, à côté et en dehors des formules, un droit plus
souple, plus vivant, et qui restera toujours moderne, parce qu'il se transformera de
lui-même. Ça ne sera pas tout à fait le droit coutumier, comme on le comprenait
jadis, et comme Savigny lui-même le caractérisait dans sa définition trop rigide. Ce
sera un droit coutumier nouveau style, édifié en théorie sur les assises fournies par
la science sociale, s'adaptant, par la pratique, à toute la variété des circonstances et
des intérêts. Seulement il faut, à ce droit nouveau, assigner une méthode précise.
C'est le point délicat, et encore peu fouillé, ce semble. - Vous m'étonnez beaucoup
en me disant qu'on bât en brèche la codification pénale, avant de s'attaquer à la
codification privée. J'avoue que, sur le terrain criminel, je serais plutôt porté à
reculer, ou du moins à attendre qu'on eût modifié à fond nos mœurs politiques,
qui, à l'heure actuelle, me semblent commander, à tout prix, l'exclusion de l'arbitraire dans l'application des peines.
Pour en revenir aux méthodes à introduire dans la jurisprudence civile, je vous
avais dit naguère que je comptais pouvoir faire quelque chose et que je désirerais
pour ce travail l'accueil de la Revue internationale de l'Enseignement13. Maintenant
que je commence seulement à réunir les matériaux et à rassembler les idées nécessaires au travail que j'avais en vue, je m'aperçois que, même en me bornant à
l'essentiel, je serai trop long pour une Revue de caractère général. Comme, d'autre
part, je n'en vois aucune, dans le domaine de laquelle rentre mieux ce que je
voudrais faire, je n'abandonne pas tout à fait ma première idée, sauf à me rejeter,
en désespoir de cause, sur notre Revue bourguignonne, dont je sais les complaisances infinies.
D'ailleurs, l'heure est loin de presser. Je me rends compte que j'ai encore
beaucoup à rechercher et à lire pour me documenter avant de mettre mes idées
au net. Et, comme j'ai promis à Desserteaux, un petit pot-pourri de questions
minières pour la Revue bourguignonne, je vais être interrompu, pour exécuter ma
promesse14. De sorte que je prévois dès maintenant que mon travail ne sera pas
en état d'être bâti avant juillet prochain et que je ne peux compter l'avoir terminé
qu'au cours des vacances d'automne.

contre certains dangers de la codification, jadis si clairement entretenus par Savigny ». F. Gény, « Essai
critique sur la méthode d'interprétation juridique en vue d'une orientation nouvelle des études de droit
privé », RBES, 1897, t. VII, p. 315.
12. Comme il l'expliquait, avec l'École historique savignienne, « la coutume se trouvant placée au
rang de la loi, sinon au-dessus d'elle, pouvait sans conteste lui faire échec ». F. Gény, Méthode d'interprétation et sources, op. cit., p. 394 et p. 259.
13. Éditée à partir de 1881, la Revue internationale de l'enseignement comptait parmi les membres
de son comité de rédaction Bufnoir, Laboulaye, Boutmy, ou encore Lavisse.
14. Dans ses lettres des 24 décembre 1895 et 29 novembre 1896, Gény expliquait faire des recherches
sur la question minière en vue d'apporter des arguments à Schneider et Cie, dans une affaire l'opposant
à un certain Gouthière. Gény publia un commentaire du jugement rendu le 30 décembre 1896 par la
cour de Dijon sur ce litige. « Étude de jurisprudence minière - De l'effet des clauses d'irresponsabilité
de la mine, à l'égard des ayants-cause particuliers du propriétaire superficiaire qui les a consenties »,
RBES, 1897, t. VII, p. 151-231.

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