Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 141

1897

72 [Grand Hôtel Beauséjour, à Champel (Genève), Suisse]
Dijon, 30 juin 1897
Mon bien cher ami,
Je vous croyais à Champel pour dix bons jours encore et je m'imaginais, par
suite, avoir tout le temps de vous y écrire. Mais, Madame Saleilles, que nous avons
eu le plaisir de voir un peu hier soir chez les Pingat, m'a détrompé en m'annonçant
un retour beaucoup plus prochain que je ne pensais. Je n'ai que l'espoir bien juste
de vous atteindre par ce petit mot dans votre sérieux Sanatorium, qui aura eu, du
moins, le grand mérite de vous préparer de pleines et tranquilles vacances, bien
dégagées des petits soucis hygiéniques, qui auraient pu les compliquer, sinon les
gâter. Je suis tout heureux de savoir que votre petit traitement a donné de suite ce
que vous pouviez en attendre. Et c'est cette joie de vous sentir ainsi très remonté,
par conséquent tout à l'espoir de vous retrouver bientôt dans un repos plus gai et
plus efficace encore, que je tiens à vous dire en deux mots ce soir. Car je me sens
un peu trop pressé par cette désolante et stérile fin de l'année laborieuse pour vous
communiquer des pensées plus objectives. D'ailleurs, nous manquons totalement
de nouvelles ici. Nous avons très chaud et attendons impatiemment de pouvoir
nous échapper de ce milieu étouffant et lassant. Ma femme partira, je pense aux
environs du 20 juillet pour la Machine avec sa mère, qui viendra la prendre. Je la
rejoindrai dès la liberté conquise, c'est-à-dire dix jours après. En attendant, et du
moins pour quelques jours encore, je m'épuise à faire passer les dernières bribes
toujours mal digérées d'un cours en des estomacs qui demandent grâce et ne
fonctionnent plus que mécaniquement. Vous savez si c'est drôle !
J'ai hésité jusqu'ici à envoyer à M. Larnaude la partie faite du travail dont je
vous avais parlé26. Cette partie, terminée depuis un mois, n'est guère qu'un exposé
systématique de la méthode juridique courante, dont je me propose surtout ensuite
de relever les défectuosités, mais qu'il m'a paru nécessaire, avant tout, de décrire
dans ses procédés usuels. Seulement, avant de livrer ces premières pages, je voulais
commencer par devers moi le travail de critique. Quand j'y suis venu et je l'ai à
peine entamé - J'ai vu que cela prenait des proportions auxquelles je ne m'attendais
pas. Je crains, dès lors, d'excéder beaucoup la mesure de l'hospitalité que pouvait
m'offrir une revue semi-mondaine et non consacrée aux choses techniques du
droit dans lesquelles je me crois obligé de descendre27. De là mon scrupule actuel.

26. Après avoir été chargé de cours à la Faculté de droit d'Aix en 1877, Ferdinand Larnaude (18531842) fut agrégé à la faculté de Bordeaux (1878-1882), puis agrégé à la faculté de Paris à partir de 1882.
Proche de Léon Bourgeois qui avait créé, à son intention, une chaire de droit public général en 1894,
Larnaude fonda la même année la Revue du droit public. En 1897, il était le secrétaire général de la
Société de l'enseignement supérieur et membre du comité de rédaction de la Revue internationale de
l'enseignement, dans laquelle Gény souhaitait publier son article.
27. Dans son article « Notre programme » publié en 1894, Larnaude expliquait que l'objet de la
Revue du droit public était l'étude de « l'État considéré dans sa structure et dans ses fonctions ». Dans
le contexte de la fin du xixe siècle, cette revue proposait de soustraire du domaine politique les questions de droit public et des sciences politiques, pour en permettre une étude scientifique adaptée aux

141

Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles

Table des matières de la publication Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles