Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 174

LETTRES DE FRANÇOIS GÉNY À RAYMOND SALEILLES

Aussi, et sans me dissimuler le moins du monde mon infériorité certaine et mon
défaut absolu de préparation pour la tâche que vous m'offrez, me suis-je seulement
préoccupé de rechercher si j'avais en perspective le temps et les moyens de travail
nécessaires. Malheureusement, mon examen aboutit à un résultat décourageant.
Au point de vue du temps, je ne puis songer à rien ajouter à ce que j'ai assumé
pour cette année. Pendant le second semestre, qui vient de s'ouvrir, j'ai, outre mon
enseignement de Droit civil, deux cours par semaine de Droit international privé,
enseignement totalement nouveau pour moi et dont la préparation m'est d'autant
plus difficile et pénible qu'elle m'assomme littéralement20. Les maigres loisirs que
je glane entre ces travaux professionnels, sont consacrés à l'Étude commencée dans
la Revue bourguignonne, qu'il faut que je termine absolument cette année pour
plusieurs raisons décisives. Je n'en viendrai à bout que grâce aux vacances que j'y
consacrerai tout entières. Vous savez que j'ai le travail excessivement lent, et mes
investigations m'ont entraîné bien plus loin que je ne pensais. Bref, je sens tout
mon temps pris jusqu'en Novembre prochain, au bas mot. Je n'aurais donc, pour
le travail que l'on veut bien m'offrir, que ce que M. Lyon-Caen vous donnera de
temps sur 1899. Ce serait peu sans doute, étant donné les exigences de l'impression.
Ce serait bien trop peu pour moi qui n'ai aucune connaissance de la matière à
commenter, et qui devrais commencer par me documenter moi-même, en prenant
le travail à pied d'œuvre.
D'autre part, je n'aurais pas, ici sous la main, sans difficultés ou trop grandes
dépenses, les collections et les livres qu'il faudrait. La partie du Droit de famille
n'est pas encore traitée, ce me semble, dans les meilleurs commentaires en cours
de publication sur le B.G., notamment sauf erreur de ma part dans celui de Planck.
Il faudrait donc me livrer à des recherches de détail, dans lesquelles je serais
constamment arrêté, et que je considère a priori comme indispensables, pour cette
partie assurément la plus nationale de toute législation civile.
Peut-être, si j'avais, sur le travail demandé et sur la méthode qu'il comporte,
l'orientation, qui me manque tout-à-fait y verrais-je moins de difficultés. Mais tel
que je le soupçonne, je le considère, dans les conjectures actuelles comme au-dessus
de mes moyens.
C'est avec un grand regret je vous assure qu'en remerciant très vivement
M. Lyon-Caen d'avoir, sur votre bonne recommandation, pensé à moi, je vous prie
de lui dire en même temps les raisons qui m'empêchent de prendre un engagement
que je serais exposé à ne pouvoir tenir.
Il me semble que vous devez trouver l'homme compétent assez facilement,
autour de vous à Paris, ou dans un voisinage qui rendrait la collaboration plus
facile.
Si vous n'aviez trouvé personne d'ici Pâques, et que j'eusse la bonne chance de
pouvoir vous rencontrer dans notre quinzaine de vacances, nous reparlerions de
la chose. Mais provisoirement, je ne puis accepter et j'aimerais mieux vous voir

20. Gény dispensa ce cours complémentaire de droit international privé en licence pour les années
scolaires 1897-1898 et 1900-1901.

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