Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 191

1898

la force des circonstances. Puisque maintenant vous avez trouvé le vrai, le seul
dérivatif, puisque la montagne vous a, cette fois encore et très vite, rendu ce qui
vous manquait, vous lui devez de ne pas l'abandonner trop tôt. Car ce serait sans
doute pour retrouver la sollicitation des livres et la tentation de l'écriture. Il faut
rester encore un peu loin de tout cela pour vous reprendre tout-à-fait. J'espère donc
que vous allez passer un large moment en Savoie, au sortir de la haute montagne.
Et c'est ce que je conclus de votre intention de séjour chez Mme Dagallier, où je
vous adresse ce mot d'après les indications de votre lettre.
Je vous croyais tellement à Gigny que je vous y ai envoyé du train un cordial
salut en revenant de Lorraine voici déjà près de quinze jours. Mais je ne faisais
que traverser la Bourgogne. Et je ne pouvais songer à m'arrêter en route, pressé
que j'étais de retrouver les miens, dont j'étais séparé depuis près de deux mois,
sauf l'entracte du 14 juillet. J'ai, d'ailleurs, retrouvé tout le monde en bonne santé.
Ma femme a pas mal souffert de chaleurs, mais reste en somme assez vaillante,
soupirant seulement après de dédoublement prochain, que nous attendons très
instamment maintenant.
Me trouvant immobilisé par contre-coup, je ne puis guère diminuer la longueur
des journées qu'en travaillant un peu. Dès mon retour en Lorraine, je me suis
remis à mon étude de méthode, que je voudrais pousser aussi loin que possible et
rapprocher tout-à-fait du terme pendant ces vacances. Je ne sais si j'y arriverai. Car
je me trouve embarqué pour l'instant dans une série de questions assez rosses, dont
je réduis les développements au minimum, mais que je n'ai pu éluder entièrement,
du moment que je me proposais une étude d'ensemble.
Heureusement je retrouve de temps à autre des aperçus moins rococo ; et, à cet
égard, je me promets le plus grand intérêt de la lecture de l'article de M. Isambert,
que vous avez eu la grande complaisance de me signaler, que je ne connaissais pas,
et que je vais me procurer. Je vous remercie de cette précieuse indication.
Pour le surplus, je mène ici la vie la plus banale et la plus monotone. Notre
attente actuelle exclut presque toutes les relations actives. Il faut donc nous
contenter de l'agitation tout externe de l'industrie qui nous enveloppe ici de tous
côtés ; et au milieu de ces bruits de machines, de ces mouvements de travail, nous
nous replions beaucoup sur nous-mêmes, songeant au passé à la fois doux et
amer, regardant vers l'avenir, que nous voyons toujours avec confiance. Nous le
voyons tel, non pour nous seulement, mais pour nos amis dont le souvenir seul
nous fait oublier leur absence. Vers vous surtout, à qui, après cette dure année,
nous souhaitions si cordialement et si profondément le grand calme des vacances,
vont nos pensées et nos vœux, afin que la seconde moitié des vacances vous soit
du moins assurée, sans accroc, sans séparation des vôtres. J'espère aussi bientôt de
vous de bonnes nouvelles. Et je vous serre les deux mains en vous redisant toute
mon amitié.
Fr. Gény

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