Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 246

LETTRES DE FRANÇOIS GÉNY À RAYMOND SALEILLES

exemple, il sera bien plus facile d'attirer sérieusement l'attention et le moment
d'agir énergiquement sera, je crois, bien plus favorable. C'est alors qu'il faudrait
tenter une organisation. Tel est, du moins, mon sentiment.
Et maintenant, il faut que je laisse tout cet idéal et ce lointain, pour en venir à
la question plus actuelle et plus positive de la traduction du Code civil allemand.
Je ne vous cacherai pas que ce que vous me dites des derniers accords entre le
Comité et les deux autres collaborateurs ne m'agrée pas beaucoup. Je me demande
si ceux qui tranchent si net et si mathématiquement les difficultés, ont mis la
main à la pâte avant de prendre leurs décisions. Et vraiment, il le faudrait bien,
du moment qu'ils prétendent imposer à la fois une certaine conception du travail
et une dimension assignée aux développements. Car enfin, si les deux choses se
contredisent, comment faire, et laquelle, en définitive, devra-t-on sacrifier à l'autre ?
Si l'on veut un maximum inflexible d'annotations, il faudrait du moins être sûr
qu'il s'adapte à la conception que l'on veut, en même temps, prescrire. Pour cela,
il faudrait avoir déjà fortement entamé le travail. - Enfin, inutile de discuter avec
des gens qui ne nous entendraient pas. Ce que je vois de plus clair, en ce qui me
touche personnellement, c'est que, pour un peu plus de 600 articles qu'on me
donne à traduire, on m'alloue de 3 à 400 pages29. Mais alors, je ne vois plus du tout
ce qu'il faut y mettre. C'est trop ou trop peu. Trop, si l'on ne veut que des notes de
référence ou d'éclaircissement indispensables, comme celles des éditions Achilles,
Meuleneare de la Grasserie30. Trop peu, si l'on veut des explications mettant le
texte à la portée des jurisconsultes français. Partant de cette dernière idée, qui
était la vôtre, j'avais commencé le travail dans des conditions, que je tenais pour
très modestes et à peine suffisantes. Mais aujourd'hui, c'est beaucoup trop. Et il
me faudra rogner d'au moins moitié. Or, je ne vois pas que retrancher pour rester
fidèle à notre idée. Et les trois quarts du temps, je n'aurai aucune bonne raison de
supprimer telle indication, plutôt que telle autre. Il faudra donc que je tape dans le
tas, au hasard. Non, cela ne peut aller ainsi. Et, sans discuter en aucune façon, j'ai
absolument besoin de savoir dans quel sens nous devons faire les annotations. Sans
doute, ceux qui sont sûrs de pouvoir en même temps remplir et ne pas excéder la
place qu'on leur octroie, ont une idée. Comme, pour ma part, je ne la soupçonne
pas, je voudrais bien la connaître. Faut-il, par exemple, supprimer toutes les raisons
d'être des dispositions du Code, quand même un juriste français ne saurait les
imaginer, et se contenter d'expliquer, tant bien que mal, ce qu'on a voulu faire ;
en d'autres termes, ne répondre qu'au : comment ? pas au : pourquoi ? Ceci est
une idée, que je crois peu heureuse, mais que je pourrais essayer d'appliquer.
Ou bien, en a-t-on une autre ? Qu'on veuille bien la dire. - vous voyez que j'en
29. La partie du droit familial traduite par Gény, à savoir les articles 1297 à 1588 du Code civil
allemand, se composait d'un peu plus de 400 pages. Code civil allemand, promulgué le 18 août 1896,
op. cit., 1904, t. III, p. 1-425.
30. Code civil allemand et loi d'introduction, traduits et annotés par M.-O. de Meulenaere et R. de
la Grasserie, Paris, 1897. Octave de Meulaere (1840-1905), qui fut premier président de la cour d'appel
de Gand, faisait partie des premiers traducteurs du Code civil allemand et de la loi d'introduction.
Parmi ces traducteurs, on comptait également Raoul de la Grasserie (1839-1914), qui avait été juge
au tribunal civil de Rennes. Précurseur de la littérature comparée, sociologue et anthropologue, ses
recherches juridiques portaient aussi sur la criminologie et le droit civil.

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