Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 287

1900

170 [Paris]
Dijon, 11 novembre 1900
Mon bien cher ami,
Que devenez-vous depuis la réinstallation à Paris et comment votre santé s'estelle accommodée de la reprise de votre vie laborieuse et agitée ? Nous sommes en
peine de le savoir, à la suite de votre crise si douloureuse de la fin des vacances,
et n'ayant eu depuis lors que de vagues nouvelles, insuffisantes à nous rassurer
sur votre état actuel. Roux me disait avant-hier qu'il ne vous avait pas vu à la
dernière séance de la Société des Prisons, où il faisait une lecture, et connaissant
votre fidèle attachement à ces réunions, je concluais de votre absence que vous
deviez encore compter avec vos forces112. Si ce n'est que précaution, c'est parfait :
et vous devriez sans doute alléger carrément votre cadre d'occupations et votre
programme de travaux, ne fût-ce que pour pouvoir vous donner à l'essentiel avec
le calme et l'aisance indispensables à la fécondité des résultats. Il me semble que,
surtout dans votre vie de Paris, il faut absolument trancher et retrancher de tout
ce qui tend à vous envahir vraiment, pour rester maître de soi et de sa vie. Enfin,
et sans accentuer le sermon, j'en reviens simplement à vous dire qu'un mot sur
votre santé, griffonné entre deux examens, nous ferait bien plaisir.
Ici, nous avons tout-à-fait repris notre train-train, au milieu des tristesses causées
par nos grands vides ; et avec la déception de ne pas avoir Eugène Gaudemet, alors
que l'entente était faite entre Percerou et lui en vue de l'éventualité sur laquelle on
comptait. C'est vraiment dommage qu'une conception purement administrative ait
fait tout échouer, de sorte que le conflit reste ouvert pour l'avenir - aggravé même
peut-être par les derniers incidents113. Les parents Gaudemet ont été profondément
désolés et je le comprends.
Pourriez-vous à l'occasion tâter M. Larnaude, en vue de savoir s'il consentirait
à publier dans la Revue internationale de l'Enseignement, un discours que j'ai lu
ici à la séance de rentrée de notre Université114. On m'avait à peu près promis jadis,
par votre entremise, de m'ouvrir ladite Revue pour un article de 15 à 20 pages,
résumant l'essentiel des idées de mon livre de l'année dernière, et les rendant
accessibles au grand public. Mon discours répond assez exactement à ce but. Il
a pour objet de critiquer notre conception courante du droit positif au point
de vue du mouvement général des idées contemporaines, en montrant que les
juristes ont été presque les seuls à ne pas suivre la pensée philosophique du siècle,
tendant assez nettement, telle que je la conçois du moins, au relativisme. En même

112. Il s'agissait d'une allocution faite le 7 novembre 1900 à la Société générale des prisons. J.-A. Roux,
« L'état de nécessité et le délit nécessaire », RDPD, 1900, n° 8, p. 1409 et s.
113. Les archives des Conseils de la faculté de droit n'expliquent pas les raisons pour lesquelles
Gaudemet n'intégra pas Dijon en 1900 (AD. Côte-d'Or, SM18418 et SM18419, p. 187 et s.)
114. Ferdinand Larnaude était un membre influent du comité de rédaction de la Revue internationale
de l'enseignement, dans laquelle Gény republie son discours de rentrée intitulé La notion du droit positif
à la veille du xxe siècle. Voir les lettres du 21 septembre 1900 et du 20 janvier 1901.

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