Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 291

1900

172 [Paris]
Dijon, 3 décembre 1900
Mon bien cher ami,
Me voici déjà bien en retard pour vous remercier de vos deux brochures - la
charmante notice sur Beaudoin, et le rapport si complet du Congrès de droit
comparé123 - qui me sont arrivées au commencement de l'autre semaine. J'avais eu
connaissance de l'une par la Revue de l'Enseignement124, de l'autre par le Journal
de votre Congrès. Mais je les ai relues toutes deux avec une sympathie bien chaude
et pour mon très grand profit. La précision du rôle des conceptions juridiques,
en matière d'histoire des institutions, que vous avez tentée à propos de Beaudoin,
m'a tout particulièrement ravi en fournissant réponse à une question que je m'étais
souvent posée. Comme tous ces problèmes sur le sens même de ce que nous faisons
journellement sont obscurs, complexes, insondables et, au fond attirants par le
mystère dont ils nous accablent. Malheureusement, plus on s'y attache, moins
on sent assurée la marche vers le vrai, et plus on se prend à douter de la science
elle-même. Aussi nous faut-il toujours en revenir à notre petite besogne courante,
où nous côtoyons de trop près les réalités pour pénétrer leur au-delà.
C'est ce que j'ai fait depuis quelques quinze jours en me replongeant dans la
traduction annotée du Code civil allemand. J'arrive bientôt au terme du Régime
légal des biens entre époux : art. 1431125. Mais j'avoue que tout en m'en tenant au
programme, essentiellement objectif et pratique, que nous nous étions tracé, j'ai
dû notablement dépasser l'étendue matérielle, à laquelle nous restreint le Comité.
Pas moyen de faire autrement, pour donner un résultat utile. Le régime légal du
Code allemand ne ressemble absolument à rien de ce que nous connaissons en
France. Je ne vois pas comment on en ferait savoir chez nous le mécanisme, sans
éclaircir d'une façon un peu (quoique très peu) développée les textes qui en fixent
les grandes lignes en un langage absolument incompréhensible, tel qu'il est. Je
suppose que, lorsque j'en arriverai à des régimes, dont l'essence tout au moins
nous est familière, comme les régimes de communauté, je pourrai limiter bien
davantage les explications. Et je compte sur cette brièveté future, à laquelle je viserai
assidûment, pour me faire pardonner mes développements antérieurs qui d'ailleurs
n'auraient rien d'excessif en soi, n'était la parcimonie du comité.
Dès que je vais avoir terminé le Régime légal du B.G., et avant de poursuivre
ce travail qui me reste toujours un véritable casse-tête, je voudrais mener à terme
les petites publications de vulgarisation, dont je vous avais parlé. Déjà, j'envoie ce
123. R. Saleilles, Rapport général sur les travaux du Congrès international de droit comparé de
1900, op. cit.
124. R. Saleilles, « Édouard Beaudouin... », op. cit.
125. Dans sa lettre du 9 mars, il expliquait être arrivé à la traduction du troisième titre intitulé
« De la nullité et de l'annulabilité du mariage » relative à la section première sur le mariage civil, soit
l'article 1323 du BGB Code civil allemand, op. cit., t. III, p. 45. En cette fin d'année 1900, il avait ainsi
commencé la traduction de la partie concernant le Régime légale des biens du sixième titre concernant
le « régime des biens entre époux ».

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