Hors collection - Lettres de François Gény à Raymond Saleilles - 42

LETTRES DE FRANÇOIS GÉNY À RAYMOND SALEILLES

épistolaire que cela me vaut de votre part8. Je ne parle pas des compliments qui,
bien que gazés et enveloppés d'une sympathie toute chaude et sincère, sont encore
de trop. Je les adresse à notre excellent doyen qui les mérite seul. Car, moi qui
ignorais ces choses et m'étonnais de ce retour à peu près périodique de mises à
l'ordre du jour, j'ai appris que, pendant longtemps, la Faculté de droit de Dijon
s'était trouvée fort en retard sur ce terrain soi-disant honorifique : et que seulement
le nouveau décanat était arrivé à nous mettre à peu près au pair9. Du moment que
c'est une affaire d'administration, je m'honore d'être un instrument docile pour
la mise au point de notre groupe dijonnais.
Mais ce que je ne veux abandonner à personne, c'est l'expression de votre
amitié et l'assurance de la sympathie des vôtres : tous ces sentiments me sont
infiniment chers ; et, conscient pourtant de n'avoir rien fait pour les mériter, je ne
puis m'empêcher d'en éprouver du bonheur. J'y réponds en formant, du fond du
cœur, mille vœux de bonheur pour votre petite colonie de Gigny dont le souvenir
me reste plein de charme.
Je crois bien avoir eu l'autre jour, en passant devant votre campagne, une illusion
correspondante à celle de votre fils Jean. De fait, je rentrais bien à Dijon jeudi soir :
mais ce n'était pas par le rapide de 6 h. Je passais devant Gigny vers 4 h ½ ce me
semble, et sûrement en train omnibus. Or j'ai vu, avant d'arriver devant Gigny,
sur la route qui conduit au village, une dame en noir accompagnée d'un enfant
qui pouvait être Madame Saleilles avec son fils. Mais, comme je vous croyais en
séjour chez des amis, et que la maison de campagne m'avait paru fermée, j'ai écarté
la pensée d'une rencontre des yeux, et me suis contenté d'adresser un salut amical
aux lieux que vous m'avez appris si agréablement à connaître.
Rentré à Dijon, que de fois ne me suis-je pas reporté en pensée à cet ermitage
de la rue des Sous-Chantres, d'une poésie si intime et si suggestive. Évidemment,
il fait bon vivre et travailler là ; surtout, me disais-je, en ces moments de brouhaha
officiel, comme nous en passions vendredi à Dijon. Dans cette tanière peu accessible (aux voitures, du moins) de Monsieur l'abbé Brintet10, qu'importe le bruit
des foules qui s'éteint à grande distance ! Je vous avoue que, de longtemps je n'ai
éprouvé un sentiment aussi intense de la vie du passé et du charme des choses
disparues quoique vivaces encore dans leurs derniers vestiges, qu'à la suite de
cette petite traversée d'Autun, que je vous dois et dont je vous suis profondément
reconnaissant.
En revenant de Roanne à Châlon, j'ai parcouru, avant Cluny surtout, un pays
très frais et très gracieux aussi, où l'on découvre, même en chemin de fer, des coins
de paysage ravissants. Desserteaux11, à qui j'en parlais, et qui connaît ces parages
8. Gény fait référence à son titre d'officier d'Académie, qu'il reçut le 13 juillet 1893. (AN. F17 24197).
Par la suite, il obtint le titre d'officier de l'Instruction publique le 17 mai 1899 et celui de chevalier de
la Légion d'honneur le 30 juillet 1921.
9. Ce nouveau décanat était celui d'Ernest Bailly. Voir la lettre du 19 mai 1893.
10. L'abbé Brintet était aumônier au collège de Dijon, puis curé-archiprêtre de Montceau-les-Mines
(Saône-et-Loire).
11. Natif de Dijon, Fernand Desserteaux (1852-1938) fit l'ensemble de ses études secondaires et universitaires dans cette ville. Il fut rattaché à la faculté de droit de Dijon dès 1879, afin d'enseigner l'année

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