Hors collection - Recueil de leçons de 24 heures - 22

LA FONDAMENTALISATION DU DROIT PRIVÉ

de l'Union européenne a ainsi estimé en 2007, dans les affaires Laval et Viking, que
les libertés économiques de circulation - à savoir la liberté de prestation de service et
la liberté d'établissement - pouvaient, en l'espèce, primer sur le droit de mener des
actions collectives. Toutefois, la solution inverse pourrait parfaitement être retenue, les
droits en présence ayant la même valeur normative.
Dans l'ordre interne, la Cour de cassation est régulièrement confrontée à l'articulation entre le droit fondamental à la dignité humaine et la liberté d'information. Là encore, malgré la supériorité de la dignité - principe matriciel, a-t-on
écrit -, ce droit fondamental ne l'emporte pas systématiquement sur la liberté
d'information. Parce qu'elle les considère d'égale valeur normative, la Cour de
cassation a pu faire prévaloir la liberté d'information dans une affaire où la presse
avait diffusé la photographie d'un acteur célèbre, couché sur un brancard, au
moment de son évacuation par hélicoptère médicalisé - mais s'agit-il bien là de
dignité ? Inversement, elle fait primer la dignité humaine lorsque des photographies montrent le cadavre d'un jeune homme torturé par ses ravisseurs.
Mais le conflit peut également opposer un droit fondamental à un intérêt
privé ou général. Les droits fondamentaux ne sont pas nécessairement absolus. Ils
peuvent être limités par un intérêt privé, comme un intérêt social lié à l'activité
spécifique d'une entreprise. L'article L. 1121-1 du Code du travail dispose ainsi
que « nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles
ou collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche
à accomplir ni proportionnée au but recherché ». Appliquant cet article dans la
célèbre affaire Baby Loup en 2014, l'Assemblée plénière de la Cour de cassation a
fait prévaloir le règlement intérieur d'une entreprise - interdisant aux salariés
d'une crèche le port de tout signe ostentatoire de religion - sur la liberté des salariés de manifester leurs convictions religieuses.
Les droits fondamentaux peuvent encore être limités par l'intérêt général de la
société. Ainsi, le « vivre ensemble » peut, selon la Cour européenne des droits de
l'homme, justifier l'interdiction de la dissimulation du visage dans l'espace public.
C'est donc ici reconnaître que l'intérêt général l'emporte sur la liberté de religion,
ou du moins justifie de lui apporter une dérogation : on se situe ici sur le terrain
du paragraphe 2 de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ensuite, des conflits d'institutions peuvent se présenter lors de l'application
des droits fondamentaux. Ces conflits opposent tantôt des juridictions, tantôt les
juges et le législateur.
La multiplication des juridictions chargées d'opérer un contrôle - plus ou moins
marqué si l'on y intègre le filtrage des QPC - du respect des droits fondamentaux est
en effet susceptible d'entraîner des divergences de solutions. Ainsi, si la Cour de
cassation a estimé que l'exclusion des règles du rapport et de la réduction pour les
contrats d'assurance-vie ne justifiait pas la transmission d'une question prioritaire de
constitutionnalité et qu'elle était conforme à la Convention européenne des droits de
l'homme, il n'est pas certain que la Cour européenne des droits de l'homme adopte
la même solution. Le doute est d'autant plus permis que la Cour constitutionnelle

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