Hors collection - Recueil de leçons de 24 heures - 24

LA FONDAMENTALISATION DU DROIT PRIVÉ

procréations médicalement assistées ou au renouvellement du droit à l'adoption.
La prétention d'un droit fondamental à l'enfant peut même aller jusqu'à celle
d'un droit à l'enfant en bonne santé. Le Code de la santé publique valide en effet
la pratique dite du « bébé-médicament », encore appelé « enfant de l'espoir »,
dont la sélection génétique préalable permet de contribuer à la guérison de son
frère ou de sa sœur. À l'opposé de ces premiers instants de vie s'ouvre parfois la
quête désespérée d'un dernier souffle apaisé. Or, l'affirmation d'un droit à la vie
n'a pas pour corollaire nécessaire la reconnaissance d'un droit de disposer de
cette vie en organisant sa propre mort. La Cour européenne des droits de
l'homme l'a affirmé dans son arrêt Pretty en 2002. Plus récemment, si la Cour a
pu considérer que « le droit d'un individu de décider de quelle manière et à quel
moment sa vie doit prendre fin » constitue un des aspects de sa vie privée, elle
rappelle néanmoins que la marge d'appréciation dans ce domaine est large...
C'est aux organes étatiques de fixer la limite au-delà de laquelle la protection de
la vie privée ou du droit à la vie deviendrait excessive. De ces tristes fins aux
petites morts, la transition peut prêter à sourire, mais n'en pose pas moins des
problématiques similaires en termes de limites. En effet, la revendication des
personnes handicapées d'un droit à la sexualité - et donc de la reconnaissance de
l'assistance sexuelle - illustre les difficultés présentées par l'expansion illimitée
des droits fondamentaux. Si tout est fondamental, que reste-t-il du sens et de
l'essence de la fondamentalité ? À force de se multiplier, les droits fondamentaux
ne courent-ils pas le risque de s'annihiler ?
Cette neutralisation des droits fondamentaux peut également s'observer dans
les choix faits par les individus titulaires de ces droits. La renonciation aux droits
fondamentaux peut, dans une certaine mesure, s'exercer en matière contractuelle.
Mais elle peut également être le résultat d'un dévoiement du principe de l'autonomie personnelle. L'acceptation de certaines pratiques sado-masochistes par la
Cour de Strasbourg suscite des réserves quant à la libre disposition de son corps
par la personne. Du droit à la libre sexualité au droit d'être torturé, le pas est
franchi au mépris de l'essence même des droits fondamentaux.
Ces lourds inconvénients, pour le droit, des excès de la fondamentalisation,
constituent un appel à la recherche de correctifs.
Ensuite, l'invitation à l'audace se propose donc au juriste. Cette audace peut
s'exprimer dans deux directions qui ne sont contraires qu'en apparence : l'audace
de la tradition ; l'audace de la refondation.
L'audace de la tradition invite à convoquer les institutions les mieux éprouvées
de notre droit, patiemment construites. Faudrait-il renoncer aux troubles anormaux du voisinage au profit d'un droit fondamental à la tranquillité ? Pourquoi
ne pas réinvestir des notions comme l'ordre public, à la lumière de la dignité de
la personne humaine - sur le modèle du Conseil d'État ? Pourquoi, encore, ne pas
user de la technique de la codification pour encadrer l'articulation des droits fondamentaux plutôt que d'en abandonner systématiquement l'arbitrage au juge ?
C'est un gage d'intelligibilité et d'accessibilité.

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