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LA CONCURRENCE NORMATIVE

Il existe donc différents types de normes, religieuses, sociales, juridiques,
elles-mêmes de degrés variables et de sources différentes. Or, si ces normes
peuvent se rejoindre, elles peuvent être en conflit et même en concurrence
dans certaines situations : la norme religieuse interdit, là où la norme juridique autorise... Règles d'hygiène, de convenance, règles déontologiques,
mais également règles éthiques, morales ou religieuses, ou encore règles de
normalisation technique... Plus il y a de normes, plus grand est le risque de
concurrence et de conflits entre elles. L'exemple choisi par Carbonnier à ce
propos est des plus parlants : « Qui n'a vécu le conflit des normes de santé et
des normes de droit ? Le devoir de l'homme est de se soigner et de rester au lit
s'il est malade. Son devoir, au même moment, est de sortir et de travailler, s'il
y est obligé par la loi ou par le contrat. »
Le phénomène d'internormativité, observé par les sociologues, peut ainsi
se manifester à travers des tensions entre les différents systèmes normatifs dans
une société, comme l'illustrent les rapports entre droit et morale, d'abord pensés en termes d'opposition : quand le premier recherche la justice et le maintien de l'ordre social, la seconde tend à la vertu et au perfectionnement intérieur de l'individu. Ripert a cherché à réconcilier cette opposition dans une
analyse célèbre, en redécouvrant la règle morale sous la règle de droit et en
expliquant que la morale doit irriguer en permanence le champ du droit,
notamment le droit des obligations. Carbonnier, quant à lui, admet que, parfois, le droit doit se retirer, en laissant d'autres systèmes normatifs, telle la
morale, prendre le relais : hypothèse du non-droit - droit et morale recouvrant alors des domaines distincts.
Parfois, les choses sont encore plus complexes : que dire de l'éthique, dont
Oppetit a montré combien il est difficile de la rattacher au droit ou à la
morale ? La demande d'éthique est aujourd'hui très forte en matière médicale,
comme en témoigne le rôle conféré au Comité consultatif national d'éthique,
mais aussi en matière financière. Ainsi, le droit s'en empare, et les lignes
tendent à se brouiller.
Ce phénomène de pluralité, observé entre les systèmes normatifs, se
retrouve au sein même de la norme juridique, et avec lui les tensions qu'il
génère. En effet, la norme juridique, la règle de droit, est elle-même plurielle.
Elle l'était sous l'Ancien droit, où cohabitaient notamment droit écrit, droit
coutumier et droit canonique. Le législateur révolutionnaire a fait de la Loi,
expression de la volonté générale, la norme par excellence. Mais ce légicentrisme s'est très vite avéré relatif avec le développement de sources de valeur
infra et supra-législative. La loi a perdu son monopole, si tant est qu'elle en ait
jamais vraiment détenu un. Une mise en ordre ingénieuse reposant sur une
hiérarchisation célèbre en a été proposée par Kelsen au xxe siècle, sous la forme
de la fameuse pyramide qui représente l'ordonnancement juridique. Elle a
même trouvé une concrétisation : dans notre Constitution, le décret est inférieur à la loi, qui est elle-même inférieure aux traités et à la Constitution. La
hiérarchie évitait la concurrence.

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