Systèmes - Lobbying et stratégies d'influences en France - 1re - 58

Lobbying et stratégies d'influences en France

plus récemment de « débats publics »216, qui intensifient les
interactions entre l'État et la société civile217, dont la porosité des
frontières s'est accrue, c'est un très large spectre d'intérêts qui
prend part aux décisions et peut les infléchir. Ces logiques sont si
prégnantes218 qu'elles conduisent aujourd'hui l'administration
consultative à devenir délibérative et, au-delà, à une contractualisation
rampante de la production normative219 où se mêlent dans une sorte de
« démocratie technique ou expertale »220, favorable à leur confusion les
intérêts publics et les intérêts privés. Plus récemment, la conversion
des gouvernants à l'idéologie néolibérale et l'importation du modèle
de l'État régulateur issu du monde anglo-saxon, qui les incite à
transférer chaque fois que possible les fonctions régulatrices à des
régulateurs autonomes et d'une juridicisation de la société qui accroît
considérablement le pouvoir normatif de l'autorité judiciaire221, ce ne
sont plus seulement le parlement, le gouvernement, les collectivités
locales et les établissements publics, qui sont visés, mais aussi les
agences et les autorités administratives indépendantes, ainsi que les
différentes juridictions. Au lobbying d'anticipation pour orienter en
amont le contenu de la législation et de la réglementation s'est ajouté
en aval, comme l'a montré V. de Beaufort, un lobbying d'application du
droit destiné à influencer les tribunaux222. Des procès sont ainsi de

216. J. CHEVALLIER, « Le débat public en question », in Mélanges en l'honneur de Michel Prieur,
Dalloz, 2007, p. 489.
217. Au milieu des années 1960, le nombre de commissions gouvernementales associant
fonctionnaires et représentants des intérêts privés est estimé à 5 000 au niveau central
et 10 000 à l'échelon départemental : F. L. WILSON, « Les groupes d'intérêt sous la
cinquième République. Test de trois modèles théoriques de l'interaction entre groupes
et gouvernement », RFSP, nº 2, 1983.
218. Elle résulte de « l'idée que les autorités publiques, quel que soit le niveau territorial de
leur ressort, ne peuvent plus faire face seules aux enjeux complexes qui relèvent de
leurs attributions et qu'elles doivent trouver des solutions en concertation avec les
citoyens et les parties prenantes pour préparer des décisions mieux comprises et
mieux acceptées », Conseil d'État, Consulter autrement, participer effectivement, rapport
public 2011, p. 95.
219. S. CHASSAGNARD-PINET, D. HIEZ (dir.), La contractualisation de la production normative, Dalloz,
2008.
220. M. MEKKI, « La lutte contre les conflits d'intérêts : Essor de la transparence ou règne de la
méfiance ? », Pouvoirs, nº 147, 2013, p. 18.
221. F. BUSSY, Y. POIRMEUR, La justice politique en mutation, LGDJ, 2010, p. 46 et s.
222. V. DE BEAUFORT, « Passer d'un lobbying d'anticipation pour influencer un texte à un
lobbying juridique pour influencer son application » in V. DE BEAUFORT, A. MASSON (dir.),
Lobbying et procès orchestrés, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 11 et s. ; les analystes du
lobbying considèrent pour les uns que l'action en justice n'appartient pas à son
répertoire d'action - P. BOUWEN, M. MCCOWN, « Lobbying versus Litigation : Political and
Legal Strategies of Interest Representation in European Union », Journal of European
Public Policy, 14, 2007, p. 422 et s. - tandis que d'autres l'y inscrivent - J. S. GONEN,
Litigation as Lobbying. Reproductive Hazards and Interest Aggregation, Columbus, The
Ohio State University, 2003.

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