Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 126

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PORTRAIT DU JUGE CONSTITUTIONNEL

la saisine citoyenne ouvre largement le spectre des objets étudiés et rend
donc difficile, si ce n'est obsolète, l'affirmation de questions politiques
non justiciables. À cet égard, si le juge de la rue Montpensier, à l'instar
de ses confrères européens, n'a pas les mêmes réticences que celles de la
Cour suprême (prompte à rendre, face à ce qu'elle considère comme une
« question politique », une déclaration d'incompétence), il fait preuve d'une
certaine retenue. Il se plaît à souligner, selon une formule devenue proverbiale, qu'il ne dispose pas d'« un pouvoir d'appréciation et de décision de
même nature que celui du Parlement »39. Il s'efforce de trouver la solution
juridictionnelle propre à lui permettre, tout à la fois, de garantir le respect
des dispositions de la Constitution et de réduire au minimum son ingérence
au sein des prérogatives des autorités politiques (certes, au regard des
intérêts contraires engagés dans le processus de confection d'une loi, la
« délicatesse » du juge est mise à rude épreuve pour porter un jugement sur
l'appréciation politique de ces intérêts par le législateur sans y substituer
sa propre appréciation).

B. Un juge situé au cœur de la logique institutionnelle
Dans un débat politique sursaturé de passions idéologiques et de stratégies
électoralistes, la « culture de délibération publique » (Victor Ferreres40)
commande que la majorité et la minorité parlementaires puissent étayer
rationnellement leurs positions réciproques. À cet égard, désormais sensibilisés à l'importance des démonstrations juridiques et instruits du fait que
la question de la conformité des lois à l'ordre constitutionnel est devenue
une question aussi politique que juridique, les acteurs politiques savent
que les argumentations qu'ils déduisent de la normativité constitutionnelle ne pourront être retenues qu'en présence d'un juge susceptible d'en
imposer le respect au législateur. Devenu ainsi le garant d'un dialogue
rationnel entre les acteurs de la vie politique, ce juge veille à ce que le conflit
politique se déploie dans les bornes d'une démocratie soucieuse d'articuler
une politique énoncée en termes de projet avec une politique exprimée en
termes de principes. Ordonné à une finalité de persuasion, l'acte d'interprétation s'inscrit dans un échange d'arguments (par exemple, entre le mémoire
des requérants et les observations gouvernementales en défense), dans une
39. Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, « Loi relative à l'interruption volontaire
de grossesse ».
40. V. Ferreres Comella, Justicia constitucional y democracia, Madrid, CEC, 1997, p. 139
(cité par P. Brunet, « Le juge constitutionnel est-il un juge comme les autres ? Réflexions
méthodologiques sur la justice constitutionnelle », in La notion de « justice constitutionnelle », C. Grewe, O. Jouanjan, E. Maulin, P. Wachsmann (dir.), Paris, Dalloz, 2005, p. 133).

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