Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 14

AVANT-PROPOS

L'entreprise se heurte à plusieurs difficultés considérables.
La première est que les discours qu'il s'agit de décrire sont fort hétérogènes. Ils ont des auteurs différents, les juges, la doctrine des professeurs
de droit, celle des philosophes, les autorités politiques. Mais surtout les
uns et les autres doivent tenir compte d'éléments hétéroclites. Les textes
constitutionnels réfèrent à la fois à la conception révolutionnaire de la représentation et à la théorie de la démocratie représentative, voire, selon certains
auteurs, à la démocratie directe. Les uns présupposent que le contrôle de
constitutionnalité est une opération neutre et que l'interprétation est une
affaire de compétence technique, tandis que les autres admettent que le
juge dispose d'un large pouvoir discrétionnaire.
La seconde difficulté est interne à chacune des conceptions dualiste et
moniste de la représentation et au fait que chacune renvoie nécessairement
à l'autre. Selon la conception moniste, celle des révolutionnaires, qui est
présupposée par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme, il n'y
a pas un peuple réel en dehors de la représentation. C'est la représentation
qui le constitue et le fait exister comme peuple. Cette conception parfaitement cohérente dans le système représentatif, celui de Hobbes, n'est pas
admissible dans une démocratie représentative, qui repose au contraire
sur l'idée que la souveraineté appartient à un peuple réel, qui peut choisir
et contrôler ses représentants, voire participer directement à l'exercice de
cette souveraineté. Le pouvoir exercé par des représentants d'une entité
abstraite ou fictive serait bien un gouvernement représentatif mais pas une
démocratie représentative.
Pourtant, si la démocratie représentative présuppose une conception
dualiste des rapports entre représentants et représentés, elle se heurte à
toute une série de paradoxes bien connus, qui conduisent finalement à
revenir à la conception moniste. Le premier concerne le contenu de la
représentation, la volonté. La représentation consiste à rendre présent ce
qui est absent. Or, si le représentant exprime une volonté qui ne coïncide
pas avec celle du représenté, il ne le représente pas ; il n'y a pas de représentation parce que le représenté a été trahi ; mais si le représentant énonce
une volonté exactement identique à celle du représenté, cette dernière n'est
pas non plus représentée, mais elle-même présente.
Un second paradoxe concerne les formes respectives du représenté et
du représentant. On le retrouve, quand on demande que la composition
d'une assemblée reflète celle de la société. Or, de même qu'une carte ne
représente parfaitement le territoire dans ses moindres détails que si elle est
à la même échelle que lui, une assemblée ne donnerait une image parfaite de
la société que si elle était composée d'un aussi grand nombre de membres
qu'il y a de citoyens dans l'ensemble de la population. Mais, comme nous

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