Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 19

STÉPHANE MOUTON

9

qu'il s'agirait d'un droit proprement politique, entendons ici un droit
dominé intrinsèquement et fonctionnellement par la décision politique.
De ce point de vue, ce colloque n'avait pas vocation à discuter à nouveau
au plan théorique la distinction entre normativisme et décisionnisme.
De même, il ne convenait pas d'étudier le comportement des acteurs qui
convoitent le pouvoir et de revenir sur l'analyse des rapports de force que sa
conquête et son exercice suscitent (influences, etc.). Il s'agit là d'approches
qui relèvent de la science politique ou de la sociologie politique, mais non
du droit. En qualité de juristes, notre objet d'étude doit être la norme
juridique et les autorités habilitées à la produire. En l'occurrence, c'est la
norme constitutionnelle et la façon dont le juge constitutionnel participe
à sa production qui nous préoccupe. Il ne s'agissait donc pas de contester
le travail de l'« école d'Aix » dont l'effort d'émancipation du droit constitutionnel vis-à-vis de la science politique a été salutaire pour extraire le
juge constitutionnel de son environnement politique et pour pouvoir ainsi
développer une démarche scientifique proprement juridique à propos de sa
jurisprudence1. Il n'était donc pas question de souscrire à une quelconque
stratégie de récupération du droit de la Constitution par la science politique,
bien au contraire.
Le contentieux constitutionnel est désormais suffisamment fort pour
être confronté à son environnement politique en gardant son autonomie,
sa spécificité. En intervenant dans la détermination et la mise en œuvre des
principes qui donnent réalité au « vouloir vivre ensemble » par le contrôle
de constitutionnalité qu'il effectue sur la loi essentiellement, le juge constitutionnel participe pleinement à la fonction de justification de l'exercice du
pouvoir au sein de la société. Il intervient donc dans la concrétisation du
« plébiscite de tous les jours », pour reprendre la formule de Renan2. C'est
ce qui fait de lui un droit pleinement et spécifiquement politique vis-à-vis
de tout autre juge. De la sorte, il s'agit ici de confronter le travail du juge
constitutionnel, sa jurisprudence avant tout, à son environnement institutionnel très spécifique, le constituant d'une part et les autres pouvoirs
constitués d'autre part (législatif, exécutif et juridictionnel), c'est-à-dire
les différents autorités et organes habilités à exercer le pouvoir politique,
et de renouer ainsi avec la dimension essentielle du droit constitutionnel,
à savoir le droit du pouvoir.
1. Nous pensons bien sûr d'abord à l'œuvre de Louis Favoreu et notamment, parmi une
littérature extraordinairement abondante, à un ouvrage et un article fondateurs : La politique
saisie par le droit, alternances, cohabitation et Conseil constitutionnel, Economica, 1988 ;
« Le droit constitutionnel, droit de la Constitution et constitution du droit », R.F.D. Const.
n° 1, 1990, p. 71-89.
2. E. Renan, « Qu'est-ce qu'une nation ? », Qu'est-ce qu'une nation et autres écrits politiques, Imprimerie nationale, « Acteurs de l'Histoire », 1996, p. 241.
Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle

Table des matières de la publication Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle
