Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 246

236

LA MODERNITÉ JURIDIQUE

l'homme de 1789, entre l'affirmation d'une supériorité des droits subjectifs
de l'homme sur l'État et la souveraineté absolue de la loi positive pour
en garantir le respect, a contribué à la reconstruction artificielle du droit
objectif. Deux procédés historiques ont été mis en œuvre au service de cette
reconstruction. On a pu observer, dans un premier temps, un processus de
réification de la loi à la faveur de l'apogée de l'État libéral au XIXe siècle
(A), avant de constater, à l'heure contemporaine, son dépassement à la
faveur du déploiement d'une démocratie providentielle (B).

A. Une reconstruction par la réification de la loi : l'État libéral
Dans le prolongement immédiat de la Déclaration du 26 août 1789 qui
renvoie systématiquement à la loi le soin de concilier l'exercice des droits
subjectifs de chacun avec celui des droits d'autrui et le respect de l'ordre
public, le XIXe siècle libéral est le siècle du réductionnisme légaliste. Parce
que la loi est invitée à inclure les droits naturels de l'homme dans le droit
positif, le XIXe siècle est celui de la confusion du droit et de la loi. Mais le
discours des juristes qui affirmaient l'identité du droit et de la loi n'était
pas, malgré la forte charge antimétaphysique dont cette revendication était
connotée, axiologiquement neutre. Il exprimait au contraire un combat
idéologique destiné à préserver la lettre du Code civil, expressément conçue
pour consolider les acquis du libéralisme économique triomphant et les
prémunir des risques d'interprétation contra legem pouvant émaner d'une
corporation judiciaire regardée alors comme le dernier vestige d'une aristocratie vaincue. C'est à la fois pour réifier et sacraliser la loi dans un strict
intérêt de classe et pour dissimuler le caractère politique d'un tel mobile,
que la dogmatique juridique de l'âge de la révolution industrielle faisait
ainsi passer le Code civil pour l'expression de la « rationalité du législateur ».
Derrière un tel vocable, cette doctrine renvoyait, sans oser prononcer le
mot, au droit naturel dont on sait, dans sa version moderne, qu'il est issu
de la raison. Dès lors, si des germes de volontarisme furent décelables dans
les premières ébauches de la construction du droit naturel moderne sur
lequel reposent les droits de l'homme, il est possible de relever a contrario
des réminiscences de jusnaturalisme dans le positivisme exégétique qui
marque le siècle des premiers aménagements législatifs entrepris au service
des libertés publiques. Ce qu'on retrouve, en d'autres termes, dans cette
rhétorique légaliste du XIXe siècle n'est rien d'autre que la méthode jusnaturaliste consistant à défendre, sous la bannière de l'universel et de la raison,
une certaine vision du monde. À travers ces contradictions, chacun mesure
la complexité du fil conducteur de la modernité : arrachés au déterminisme
d'une nature indéchiffrable, les droits de l'homme sont présentés, dans un
Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle

Table des matières de la publication Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle
