Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 52

CONSTITUTIONNALISME, JUSTICE

On ne contestera pas davantage l'interprétation de Carl Schmitt qui,
dans La situation actuelle du parlementarisme, en 1923, affirmait que les
deux principes fondamentaux de l'institution parlementaire tenaient en
le « principe discussion » et le « principe publicité »14. Ce qui reléguait le
« principe élection » au second rang. Si les parlementaires sont liés aux
volontés de leurs mandants, ils ne peuvent véritablement discuter puisque,
tenus par le vœu des électeurs, ils ne peuvent pas changer d'opinion. Le
mandat dit « représentatif » garantit la discussion, qui suppose la liberté des
discutants. Mais cette discussion doit aussi être publique, car telle est la
condition même de l'ouverture de cette discussion de la loi (et du budget)
vers la société. La loi commune n'est sans doute pas adoptée par tous, mais
elle doit pouvoir être critiquée par tous.
Cette critique doit pouvoir remonter jusqu'à ceux qui exercent la
puissance de l'État et participent à la confection des lois. C'est pourquoi
le principe parlementaire de libre discussion ne trouve sa signification
véritable que si, et seulement si, il existe un principe de libre discussion au
sein de la société. C'est pourquoi les principes de la « liberté d'imprimer »,
de la « liberté de la presse » et, plus généralement, de la liberté d'expression
sont des principes constitutifs du gouvernement représentatif. Cette liberté
doit garantir ce que l'on peut appeler, avec Reinhard Koselleck, le « règne
de la critique » et assurer la mise en pratique d'une doctrine politique du
« libre examen »15.
La liberté et la publicité des débats parlementaires ne prennent sens que
si, et seulement si, il existe, dans la société civile, une garantie suffisante
des principes de liberté et de publicité. C'est ainsi que se forme l'« espace
public », qui n'est pas espace étatique, mais l'espace d'intermédiation entre
l'État et la société. C'est dans cet espace que se joue la communication,
descendante et ascendante, entre les deux sphères, politique et civile.
Cette vision de la représentation comme mécanisme complexe de conditionnement de l'énonciation de la volonté de l'État focalise bien sûr sur
la loi, comme expression de la volonté générale. Cela peut suffire pour les
doctrines révolutionnaires françaises passablement animées par un certain
« légicentrisme ». L'intérêt du « détour allemand » vient de ce que l'intelligence juridique y a été marquée, au début du XIXe siècle, par l'École
historique. On peut dire simplement que, pour celle-ci, le droit ne s'identifie
pas à la loi. Cette dernière ne peut même que jouer un rôle secondaire, qui
devient néfaste en s'amplifiant, dans la production du vrai droit « positif ».

14. En français, dans Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie, Seuil, 1988.
15. J'ai souligné le lien entre certaines doctrines de l'État de droit et le protestantisme dans
Olivier Jouanjan, « Présentation », Figures de l'État de droit, op. cit., p. 21 et s.

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