Grands Colloques - Le régime représentatif à l'épreuve de la justice constitutionnelle - 56

CONSTITUTIONNALISME, JUSTICE

Il convient donc d'élargir et d'approfondir notre champ de vision de
la représentation comme de la justice constitutionnelle pour reprendre à
nouveaux frais la question générale de leur rapport. Ce qui exige de sortir
du formalisme et du normativisme ou, plutôt, d'un formalisme de bazar
et d'un normativisme mal entendu. Car aussi formaliste et normativiste
qu'il fut, Kelsen, lui, n'était pas aveugle aux problèmes institutionnels et
politiques. Et l'on peut partir de ses positions fondamentales pour penser
la relation entre représentation et justice constitutionnelle.
Pour ce faire, il ne faut pas oublier que sa théorie de la justice constitutionnelle n'est pas une théorie de la science juridique mais une proposition
qui relève de la politique juridique, dans le respect du positivisme qui
n'interdit pas au scientifique de proposer des améliorations d'un système
donné, mais sur le mode : si l'on veut telle amélioration, alors, la science
enseigne ou privilégie telle ou telle méthode. Il s'agit donc d'une théorie
hypothétique et non pas catégorique, d'une simple préconisation. Dans le
respect donc de la distinction wébérienne du savant et du politique.
C'est pourquoi, s'il trouve les moyens de la construction de sa théorie
hypothétique et non descriptive de la justice constitutionnelle dans la
théorie juridique scientifique, les objectifs que poursuit le modèle de la
cour constitutionnelle se rattachent à sa théorie politique scientifique. En
effet, la théorie kelsénienne de la justice constitutionnelle, ainsi ramenée à
sa juste portée, poursuit clairement deux « objectifs politiques » qui sont
intimement liés à sa théorie de la démocratie22.
1/ Tout d'abord à travers le contrôle de la constitutionnalité des lois,
dont on ne nie certainement pas l'importance, ce n'est pas tant le respect de
ladite « hiérarchie des normes » qu'il s'agit d'assurer. D'ailleurs, puisqu'il
n'existe pour Kelsen aucune méthode scientifique d'interprétation du
contenu des normes, ce n'est pas de son contenu qu'une interprétation
juridictionnelle tire sa validité (elle serait valide si elle est « bonne », invalide
si elle est « fausse »), mais de son mode de production : l'interprétation est
valide si elle est donnée par la décision d'un organe juridiquement habilité,
dans les formes et procédures juridiquement imposées, si elle devient ainsi
22. Sur toutes ces questions, en français, voir les contributions de Carlos-Miguel Herrera
(« Science et politique chez Hans Kelsen »), Oliver Lepsius (« Kelsen, théoricien de la démocratie ») et Matthias Jestaedt (« La science comme vision du monde : science du droit et
conception de la démocratie chez Hans Kelsen ») dans Olivier Jouanjan (dir.), Hans Kelsen.
Forme du droit et politique de l'autonomie, PUF, 2010. Vor aussi Otto Pfersmann, « La
Théorie pure du droit est-elle indifférente à la démocratie ? », Alexandre Viala (dir.), La
démocratie : mais qu'en disent les juristes ?, LGDJ, 2014, p. 155 et s. Le texte principal de
Kelsen sur la démocratie est traduit en français par Charles Eisenmann : La démocratie, sa
nature, sa valeur, rééd. Dalloz, 2004. L'ensemble des écrits de Kelsen consacrés à la démocratie ont été réunis par Oliver Lepsius et Matthias Jestaedt : Hans Kelsen, Verteidigung
der Demokratie, Tübingen, Mohr Siebeck, 2006.

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